Sortir de la pauvreté?

                   

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Ce n’est pas tout de se retrouver de plus en plus nombreux entre « gens de peu », « nouveaux pauvres » ou « sans droits, il faut bien tenter de « vivre » c’est-à-dire de « consommer » ou de bénéficier de modes d’accès « normaux » aux biens et services…

Alors que notre « époque n’en finit pas d’engendrer des gens « sans » (sans ressources, sans domicile, sans papiers ou sans avenir, etc.), penseurs, décideurs et économistes sont censés chercher « comment les choses pourraient ou devraient être autrement », sachant que les politiques menées depuis quatre décennies ne font qu’entériner la déstabilisation de la condition salariale et la précarisation de tous…

La misère semble installée pour longtemps dans un paysage social dévasté et deux  chercheurs viennent rappeler que l’on est loin d’avoir tout tenté contre elle...

Après avoir fondé et dirigé Alternatives économiques, puis travaillé au Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, Denis Clerc s’occupe d’insertion par l’activité économique et rappelle, avec l’économiste Michel Dollé, que « réduire la pauvreté est un enjeu de justice sociale, un investissement dont toute la société tirera profit ».


"Bons" et "mauvais pauvres"...


Dès le XIIIe siècle, Jacques de Vitry, chanoine de Liège, s’inquiétait de la progression du nombre de pauvres qui « acquièrent leur subsistance quotidienne du travail de leurs mains sans qu’il leur reste rien après qu’ils ont mangé ».

Déjà, l’Ancien régime distingue les « bons pauvres » des mauvais, « responsables de leur sort » et réprime ces derniers – il semble faire son grand retour avec la « marche arrière sociale » enclenchée par des décideurs « sans tabous » et les clichés éculés sur le « cancer de l’assistanat » colportés ad nauseam par des bateleurs d’estrade sans foi ni loi : le cas de ces allocataires se contentant de vivoter de l’aide sociale « est sans doute moins fréquent dans le monde des pauvres – et d’ampleur financière infiniment moindre – que la fraude fiscale ne l’est dans l’univers des riches dont nul jusqu’ici ne s’est avisé de dénoncer le « cancer de l’incivisme »…

Ce « procès en assistanat » est d’autant plus indécent qu’il ne concerne qu'une infime minorité, « alors qu’il est dressé contre 8 millions de pauvres » …

Denis Clerc et Michel Dollé explorent aussi la piste d’une certaine inconditionnalité du droit à la survie matérielle, évoquée pendant la Révolution par Thomas Paine (1737-1809), citoyen britannique élu député du Pas-de-Calais. En 1795, il adresse « à la Législature et au Directoire exécutif de la République française » un Plan pour améliorer la situation générale de tous les hommes grâce à un revenu universel versé chaque année à « tous les individus, pauvres ou riches » sans « odieuse distinction » soit un capital attribué à chacun à l’âge de 21 ans « pour se lancer dans la vie » et une pension annuelle aux invalides ou atteignant les 50 ans, financés par un impôt sur les successions équivalant à un dixième de leur montant (« la justice agraire »).

« Pour la première fois, constatent-ils, la question de la lutte contre la pauvreté est abordée non plus sous l’angle de la responsabilité personnelle des pauvres, mais sous celui de la responsabilité de la société et de l’intérêt collectif ».

Mais les auteurs proposent davantage d’améliorer les instruments existants que d’expérimenter des solutions « révolutionnaires » - et tablent sur l’accès à l’emploi, permettant à chacun de participer à « l’entreprise de coopération mutuellement avantageuse », qui est pour John Rawls (1921-2002) à la base du contrat social, plutôt que sur un revenu de base susceptible de couvrir les besoins vitaux – quand bien même l’on est avant tout sujet humain avant d’être « sujet travailleur »…

Or, l’emploi préserve-t-il encore de la pauvreté ? L'explosion du nombre de "travailleurs pauvres" depuis trois décennies  et la précarisation croissante de la condition salariale devraient interpeller pourtant quant à la nécessité d'un véritable "outil de transition" vers le "monde d'après" où nous entraîne un "progrès" technique à tombeau ouvert...

Après un état des lieux de la « question sociale » dressé par de fins connaisseurs, le recours s’impose à l’apport de ceux qui l’ont vraiment pensée :  Rawls et sa « sociéte juste », l’économiste indien Amartya Sen qui propose d’ouvrir le champ des possibles permettant à chacun de progresser dans ses « capabilités » et le philosophe allemand Axel Honneth qui privilégie la reconnaissance par autrui et par les institutions publiques de la valeur individuelle et sociale de chacun.

Pour Denis Clerc et Michel Dollé, il ne s’agit, évidemment, pas de dépenser plus mais de « dépenser nécessairement mieux » - de même qu’il conviendrait non pas de « travailler plus » mais de « travailler autrement », dans une optique bien moins utilitariste et marchande d’une société de « pleine activité précaire » en délitement. Mais, alors que la "production" se libère des "travailleurs humains", combien d'entre eux sont assurés encore de leur "place" dans le "système productif" alors que les constantes de l'équation économique demeurent "l'optimisation" des "profits", la réduction du "coût du travail" et le fondamentalisme technologique  ?


Denis Clerc et Michel Dollé, Réduire la pauvreté, Les Petits matins, 192 p., 14 €

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