François Cérésa : Merci qui ? Merci François. Of course !

Une épopée. À la fois brillante - comme le sont le strass, les paillettes et le clinquant des branchés de la jet set - et dérisoire. Celle de Marcel Duchamp, non le peintre, mais un ancien cover-boy, plus connu sous le nom de Lucky. Par antiphrase ? Pas vraiment. Il a eu son heure de chance. Et de gloire. Une icône de papier glacé que les flétrissures de l'âge et le tourbillon de la mode ont laissé, comme bien d'autres, sur le carreau. Pour lui, qui atteint la cinquantaine, il n'est que temps d'entamer une reconversion.

 

La voie est toute tracée : écrivain. Grand écrivain, bien sûr. Son ami Pierre-François Coblence l'en persuade. Il a repéré en lui un vrai talent de plume. Déjà auteur d'un best-seller, Merci Qui ?, auquel il s'agit de donner une suite. En quelque sorte, Les Misérables du vingt-et-unième siècle, "une sorte d'Iliade moderne à travers [sa] propre expérience, celle d'un Jean Valjean du mannequinat."

 

Étrange personnage que ce Coblence, P.-F. pour ceux qui gravitent dans son monde. Adepte du globish, incapable d'articuler une phrase sans la truffer de mots anglais. Pontifiant et pitoyable. Pygmalion et pique-assiette. Sans scrupule ni morale. Son monde, celui de la presse et de la publicité où il s'est fait une réputation et des relations, "les jet-setters, (...) les tarlouzes du show-biz, les pétasses du prêt-à-porter, les gamers de la mode, les pit-bulls, les Tarzans qui jactent comme Boy, qui se parfument comme Jane...". Celui de son amie Marie-Antoinette Belin, qui fait dans la mode la pluie et le beau temps et songe justement à se lancer dans l'édition. Grâce aux fonds de son banquier de mari, ancien trotskiste, comme il se doit.

 

Un univers dans lequel gravitent, donc, mannequins et couturiers grands ou petits, esthètes de tout poil, philosophes de pacotille, snobinards en tout genre, artistes "conceptuels" comme Charly Claoui, réalisateur de cinéma d'avant-garde, admirateur de Godard, lorgnant sur les droits de Merci qui ?. Tous mus par l'argent et le sexe. Le goût du pouvoir. Le paraître et le faux-semblant. Tous professant des idées de gauche, tendance Hollande ou Mélenchon. Qu'importe, pourvu qu'on se rejoigne sur les grands idéaux.

 

Les femmes - Marie-Antoinette, déjà citée, Amicie, mannequin en sous-vêtements, vingt ans de moins que son ami Lucky, ou la transsexuelle Jennifer - ne valent pas mieux que leurs partenaires masculins. Aussi vaines, aussi avides. Sauf, peut-être, la jeune Ludivine, qui n'a qu'un défaut, celui d'être mineure. Quant à Lucky, il a eu le tort de croire "qu'on devenait écrivain comme on devient fraiseur". Il sera le héros malheureux de cette métamorphose avortée.

 

Pour narrer ses tribulations, François Cérésa fait flèche de tout bois. Son roman foisonne, mélange les genres, bouscule les idées et les tabous. La satire des milieux frelatés dont il a une connaissance étonnante, fruit, assurément, d'une observation "sur le motif", s'y accompagne de références constantes à l'actualité. Certains noms dont il affuble les personnages de cette comédie humaine, certains de leurs comportements ou traits de caractère sont transparents. Il les campe, les fustige, avec un indéniable talent de caricaturiste.

 

En même temps, cette évocation des milieux branchés, hilarante, cruelle, se double d'une réflexion désabusée sur notre époque prétendument libérée et confortable : "On l'a maintenant, cet Olympe !... Il pue l'immédiateté, l'écran, la solitude, l'indifférence, le cannabis, le désoeuvrement, la peur de demain, la technicité au service de la négation d'autrui, le suicide... Le désastre général est bien trop grand pour qu'on se lamente... (...) On consomme à tout va, on bosse peu, c'est normal (...). RTT, 35 heures, toujours plus de bandaison, toujours moins de plaisir... À part ça, citoyens, citoyennes, tout va bien dans le meilleur des mondes, Big Brother a remporté la partie !"

 

Moraliste, Cérésa ? Sans doute - mais à sa manière. Frondeuse, gouailleuse. Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Capable de se compromettre pour un calembour douteux. Faisant swinguer ses phrases à la manière d'un Céline, pratiquant, à l'instar de son ami Alphonse Boudard, l'art d'introduire des dialogues sans ralentir le rythme du récit. Imprégnation, communauté de style et non-plagiat, on l'aura compris. Il caracole, se joue de ce que les cuistres nomment les registres de langue, explore jusqu'en leurs tréfonds les ressources de l'argot. Cette plongée dans le monde de l'artifice, à la fois amère et jubilatoire, en acquiert un accent de vérité. Et, en dépit des apparences, une profondeur singulière.

 

Jacques Aboucaya

 

François Cérésa, Merci qui ?, Editions Ecriture, mars 2013, 362 pages, 18,95 €.

 

 

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