La Longue marche, Jean-Pierre Mocky by Mocky

JEAN-PIERRE MOCKY : mots qui touchent


J’ai un sévère contentieux avec Jean-Pierre Mocky. Il y a quelques années, ce monsieur me traita de menteur devant une relation professionnelle commune. Venant d’un maître en la matière comme lui, j’aurais pu prendre ça comme un compliment. Tel ne fut pas le cas. Je proposai d’en découdre verbalement ou physiquement avec mon accusateur, on me ramena au calme et à la raison. Plus jamais je ne vis Mr. Mocky, ce qui ne me manqua pas.


Ceci énoncé, je n’ai rien contre le cinéaste. Depuis ses débuts, il a mené son parcours avec courage, détermination et, parfois, talent. Le fait qu’en 2014, il continue de travailler en dépit des innombrables aléas et déconvenues qui jonchèrent sa carrière doit être salué. Mocky est, à sa manière, un héros. Tout au moins une forme de justicier. Il a beaucoup secoué à la fois le cinéma français et la société dont il est censé être le reflet, fait des émules et signé des œuvres qui méritent d’être revues. Je tiens Solo pour un grand polar des années 70.


Mocky a aussi beaucoup écrit, ou fait écrire sur lui : Dialogues avec Gaston Haustrate (Edilig, 1989), Jean-Pierre Mocky par Eric Le Roy (Bifi, 2000), M le Mocky (Denoël, 2001), Cette fois je flingue (Florent Massot, 2006) sans oublier Mocky s’affiche (Christian Pirot, 2004) et l’indispensable Pensées, répliques et anecdotes (le cherche-midi, 2009). Preuve qu’il ne laisse pas indifférent.


Pour ce nouvel ouvrage, La Longue Marche, il s’entretient avec Noël Simsolo, qu’il connait de longue date. Soyons franc : ceux qui ont déjà lu les publications précédemment cités n’apprendront pas grand-chose mais là n’est pas le plus important. Ce qui frappe en plongeant dans ce nouvel opus est le calme apparent de Jean-Pierre Mocky. Se serait-il assagi ? Il évoque sa carrière film par film sans chercher à régler des comptes ni à tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge. Il le fait avec clarté, sérieux et (je l’espère) honnêteté. Tous ses films sont ainsi revisités à la fois dans leur fabrication et dans leur but sans que cela ne soit jamais pesant. On comprend mieux les soucis qu’il n’a jamais cessé d’engranger et on se dit que Mocky est un auteur qui laissera forcément une trace. Refusant les compromissions, nageant à contre-courant, foutant des coups de pied aux idées reçues et aux bien-pensants, il a fait œuvre utile. C’est vrai que sa marche a été longue (elle débuta en 1959 avec Les Dragueurs) et il n’est pas encore arrivé au bout. Mocky c’est le petit lapin Duracell du cinéma hexagonal. Tout cela, il le raconte dans ces pages qui ne peuvent que passionner l’amateur de cinéma.


Pour autant, Mocky reste Mocky. Avec une mémoire parfois défaillante et un sens de l’exagération qui le caractérise. Il ne se souvient plus que le directeur du Conservatoire ne s’appelait pas Paul Abraham mais Paul Abram ni que le célèbre distributeur de films des années 70 ne s’appelait pas Jacques Lestienne mais Jacques Leitienne. Lui rappeler aussi que dans La Part des lions de Jean Larriaga, Robert Hossein ne jouait pas le flic (c’était Michel Constantin) mais l’un des voleurs.


Détails et billevesées


Quand Jean-Pierre affirme que Y a-t-il un Français dans la salle ? a fait « 4 millions d’entrées en France ! » (p 123), il se trompe. Lourdement. Cette production totalisa 800.000 spectateurs. D’ailleurs concernant les entrées, il est bon de savoir que seuls quatre de ses films dépassèrent le million d’entrées : Les Dragueurs (1,5), Un drôle de paroissien (2,3), La Grande lessive (2,1), L’Etalon (1,2). Même des œuvres aussi marquantes que Le Miraculé et Les Saisons du plaisir ne parvinrent pas à franchir la barre. Ce qui ne retire rien à leur qualité mais autant mettre les choses au clair. 


Conclusion : ceux qui veulent en savoir plus et même beaucoup plus sur la façon pour le moins originale et audacieuse avec laquelle Mocky a construit ses films, et sa réputation, ont tout intérêt à lire ce long entretien. Un bilan exhaustif pour une carrière atypique.


Philippe Durant


Jean-Pierre Mocky, La Longue Marche, entretiens avec Noël Simsolo, Ed Neige/Ecriture, 220 pages, mars 2014, 18,95€

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