La symphonie d’une solitude : «Je ferai pousser des oliviers bleus», de Jean-Pierre Artin
Voici un livre qui, par l’histoire passionnante qu’il renferme, une histoire pleine d’émotions et de rebondissements, frappe aux portes de la littérature, et plus précisément du genre de la biographie romanesque.
Son auteur, un bourlingueur-artiste, connu jusqu’ici comme peintre, se lance pour la première fois dans l’aventure de la publication, incarnant cette fois un personnage qui, derrière une liberté bien affirmée et un incorrigible aplomb, cache un être à fleur de peau qui traverse l’existence avec une besace remplie de douleurs et de blessures, de manque d’amour et de mal de vivre. La force de son histoire naît d’un optimisme dont lui seul connaît le secret qu’il consentira à partager avec ses lecteurs devenus ses confidents, voire ses défenseurs devant la dure instance de la vie qui est loin d’être tendre avec lui, dès son plus jeune âge.
Mais parcourir toutes ces pages, tout
en suivant le rythme de cette biographie qui va se métamorphoser au fil des
pages en une odyssée de la recherche de soi, de ses origines et du sens caché
de l’existence, de l’amour et de la solitude, ne serait pas chose facile si Jean-Pierre Artin ne prenait le temps de nous proposer plusieurs clefs
de lecture qui vont nous accompagner tout au long de cette touchante histoire de son personnage.
La première tient de la nature
narrative de son texte. «Mon texte est romancé», nous assure-t-il par la voie de son narrateur,
en faisant appel, dès lors, à sa défense, à la protection de la fiction, laissant ainsi aux mots le plein pouvoir de
transfigurer la réalité primordiale par le biais de la narration.
La deuxième clef est celle de la réalité racontée dans laquelle prend ancrage cette narration, celle d’une vérité romanesque que l’on découvre très rapidement autour de l’enfant frêle qu’est le petit Alain, être solitaire, enfant abandonné à sa naissance par une mère restée à jamais absente, à jamais désirée, une mère «évaporée dans les brouillards du Nord». Cette solitude, avec toutes ses peurs, rarement avec son réconfort, lorsqu'elle devient refuge lui permettant de se resourcer, va l'accompagner tout au long de son roman, à tel point que l'on pourrait nommer cette narration une «symphonie de la solitude».
C’est à partir de cette absence que commence
le chemin de ce destin qui mise tout sur la capacité lénitive du temps pour
guérir ses plaies et se reconstruire. Et c’est toujours la voix de cette solitude que l’on
va entendre dorénavant, tout d’abord, par la voix de l’enfant-narrateur :
«je prends la décision d’écrire mon désarroi, […] la prose confiera à une
feuille blanche mes joies, mes peines».
Car Alain est mis dès sa naissance sous tutelle et se retrouve dans la famille de Mamée, «femme en rondeur, au sourire énigmatique» et de Gustave, employé chez un architecte, homme renfermé mais passionné et qui transmettra à l’enfant son amour pour «la lecture, le dessin, la peinture, la musique». C’est dans cet univers que le petit Alain va grandir, élevé par ce couple pittoresque, qui tente tant bien que mal de lui donner une éducation mais peu d’amour, en tout cas, pas le type d’amour dont l’enfant manque cruellement, celui d’une vraie mère et d’un vrai père. Ce déséquilibre affectif poussera l’enfant dans une sorte de solitude que l’on connaît chez tous les grands rêveurs, plus attentifs à la beauté de la nature qu’à celui des êtres qui les entourent et dont ils finissent par se méfier. Mais aussi dans une révolte due au sentiment douloureux d'abandon. Alain agit de la même sorte, se renferme dans sa rêverie, pour lui, un coucher de soleil vaut une huitième merveille du monde : «Assis sur la crête d’une dune, mains croisées sur les genoux, j’attends les secondes solennelles, l’instant privilégié. L’horizon d’abord violine est passé au bleu, ce bleu symbolique puisqu’il est unique ; aucun peintre à ce jour n’a su traduire l’intensité de sa transparence, l’éphémère de l’imminent».
Malgré toutes ses peines, le narrateur rend hommage à sa famille adoptive, surtout aux moments (trop rares, hélas !) de complicité avec Gustave qui lui transmet l’art du dessin et la passion de la lecture.
Mais au-delà de ces moments de bonheur commun, la sensibilité à fleur de peau s’inscrit à jamais dans les gênes d’Alain, étant prête à ressortir à tout moment de détresse, et faisant surface pour consoler son âme. L’enfant en révolte deviendra un adulte fragile, jamais satisfait de son parcours, toujours à la recherche de se dépasser, de se prouver à soi-même et aux autres qu’il mérite sa place parmi ses semblables. «Pourquoi cette obsession de vouloir toujours aller plus loin ?», s’interroge-t-il.
Après l’internat, l’armée, il rencontrera Nathalie qui deviendra son épouse. Ils auront deux enfants. Il va travailler comme ingénieur chez IBM, et la famille s’installera dans le confort agréable de la condition d’un cadre supérieur. Il étudie la peinture, joue au tennis et croit s’épanouir au milieu de son univers douillet. Sauf qu’il oublie de faire une petite place aux autres… et surtout à sa femme et à ses deux enfants…
Le prix à payer pour tout ce confort matériel, ce sont les déplacements incessants pour le travail. Et, sans s’en apercevoir, Alain deviendra, à son tour, le parent absent qu’il avait tant condamné et cherché pendant son enfance. Or, cette interrogation sur l’absence de l’être cher n’est pas la seule qu’Alain portera dorénavant. Beaucoup d’événements de la vie se dérouleront sous le signe de ce traumatisme qui n’est pas prêt à disparaître. Il s’insinuera jusque dans le coin secret où Alain avait caché son désir insatiable de bonheur familial. Ne voit-il pas d’ailleurs en Nathalie, sa future épouse et mère de ses enfants, une des images sublimées de cette mère absente ? Comment son couple va-t-il évoluer, il ne le sait pas, surtout qu’il ne s’aperçoit même pas qu’il est en train de devenir un égocentrique, un homme avide de succès professionnel, de carrière, de confort. Le besoin d’être sans relâche reconnu devient pour lui un poids difficile à porter, une sorte de malédiction fatale à la survie de son couple. Alain en est conscient, «mon abandon a bien laissé une blessure profonde qui influe à mon insu sur mon état d’être», répète-t-il sans cesse dans son for intérieur, cette phrase étant plutôt l'expression d'une douleur et non pas celle d'une blâmable fuite en avant.
Sa peinture s’en ressent et, petit
à petit, la prose qu'il dépose dans ses carnets, deviendra comme un gisement «de mots des maux»,
trahissant le secret d’un nouveau (le combien?) mal de vivre. Alain va utiliser encore une fois son
arme secrète qui le pousse vers l'avant, chaque fois qu’il se sent perdre pied: son envie de réussir à tout prix. Peu
importe s’il faut y laisser ses plumes, peu importe si l’on risque de blesser
les autres. Et, d’ailleurs, les autres ont peu d’importance pour cet
égocentrique qui balaye d’un revers de main l’échec de son expérience de
famille : «J’ai été sincère, mais immature».
Rien, pourtant, n’est à renier dans
les erreurs de jeunesse. Il y a des choses que l’on regrette, il y en a d'autres que l'on peut assumer, comme, par
exemple, l’expérience qui va nous aider à grandir dans la lumière de l’amour
des autres. Alain le sait très bien. Il la décrit dans la dernière partie de
son témoignage, en évoquant un voyage initiatique aux USA avec des rencontres
presque providentielles et, surtout, l’histoire de sa rencontre et de son amour
intense pour Anne.
Cette partie peut être considérée comme la partie la plus lumineuse de son histoire, un livre dans le livre, une histoire construite à côté d'Anne, une femme dont l’intelligence et l’amour lui donnent enfin l’occasion de se retrouver, de se connaître et de connaître la paix. Pour Alain c'est une période lumineuse, son être si avide de paix retrouve l'énergie d'aborder la peinture avec perseverance, Anne l'aidera à organiser plusieurs expositions qui le feront connaître. Alain est enfin heureux, même si ce bonheur va s'avérer fragile devant la cruauté du temps.
Arrivé à la fin de son histoire, Jean-Pierre Artin sait qu'il pourra dorénavant y puiser la lumière qu’il aime tant et qu’il pourra transférer de
ses toiles à ses futures pages romanesques. L'expérience littéraire qu'il nous propose dans ce premier roman mérite
toute notre attention, malgré certaines lourdeurs, quelques longueurs et quelques coquilles à éviter.
La suite s'annonce encourageante, le talent ne manque pas chez cet éternel passionné, l'amour pour les mots non plus.
Dan Burcea
Jean Pierre Artin, «Je ferai pousser des oliviers bleus», Édilivre Éditions, 2014, 330 p., 19, 90 euros.
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