Le roman de Molly N. : En quête d'identité

Janvier 2015. L’auteure et journaliste Sophie Carquain est à sa table de travail, braconnant sur Facebook, glanant des idées d’articles ou y faisant une pause, quand  à 11 h 25, elle capte cette énormité. Fusillade.  Charlie Hebdo. Effraction. Kalachnikov. Des morts.
Elle découvre le massacre en direct. Bouleversée, tétanisée, elle se met comme tout un chacun ce 7 janvier-là à la recherche frénétique d’informations. 

De façon incidente : et soudain, elle est apparue d’entre les morts, elle tombe sur une brève relatant l’histoire de Molly Norris une caricaturiste américaine qui en 2010 disparut du jour au lendemain à Seattle.

Peu à peu, elle s’intéresse  au sort de cette cartooniste qui pour avoir lancé un peu légèrement un concours de caricatures du prophète Mahomet fut obligée d’intégrer le programme de protection de témoins du FBI. 

En quelques heures, menacée par une fatwa, elle dut s’enfuir avec sa fille adolescente sans prévenir personne, laisser son chien à ses parents et s’évanouir dans la nature pour peut-être un autre pays, un autre continent. A ce jour, elle est probablement encore vivante quelque-part mais nul à part quelqu’un dans les plus hautes instances juridiques américaines ne sait où.

Dans son roman, Sophie Carquain imagine qu’elle vit  dans un premier temps à Paris, avant d’intégrer la Villa Médicis (sans le moindre élément allant dans ce sens. La vraie Molly Norris peut tout aussi bien vivre à Stockholm que Berlin, au Cap qu’à Sidney). 
Elle la décrit, flanquée d’une garde du corps 24 heures sur 24, devant se méfier de tout et de tout le monde, ne s’attacher à personne. Dans la bibliothèque où elle travaille, elle ne doit jamais laisser transparaître le moindre indice qui pourrait la mettre en danger. C’est difficile mais elle y parvient à peu près, quitte à laisser croire que la policière qui la suit partout est son amante. Pour sa fille, jeune ado au caractère bien trempé qui lui reproche le tournant qu’a pris leur vie de fugitives, c’est beaucoup plus complexe. Notamment quand la jeune fille consomme des substances illicites lors d’une soirée et se livre sur les réseaux sociaux.

Les regrets, le mal du pays, le désespoir d’être coupée des siens, d’avoir entraîné sa fille dans cette fuite en avant,  la certitude que rien ne sera plus comme avant taraudent Molly N. et font d’elle une héroïne bouleversante.
Le suspens, le danger sont  omniprésents. Cet homme originaire de Vancouver (si proche de sa ville natale), avec qui elle sympathise ne l’a t-il pas reconnue, n’est-il pas envoyé pour l’éliminer ? La menace peut venir de n’importe qui, de n’importe où. D’un homme, d’une femme, d’un adolescent : elle est prévenue. A elle de s’en accommoder.

De cette destinée totalement  romanesque,  mais véridique (on n’imagine pas que quelqu’un placé sous un tel régime de protection de témoins puisse vivre autrement que traqué), l’auteure tire un livre dans lequel ses propres questionnements, ses propres doutes s’insinuent,  en faisant l’objet de chapitres bien distincts. En enquêtant sur Molly Norris sur les lieux où elle vécut ; en travaillant sur la profondeur du  mystère humain, sur ce que fonde une identité, une personnalité, elle découvre un secret de famille qui éclaire sa quête et son intérêt pour la disparue de Seattle.

Sophie Carquain, écrivain et journaliste, a publié plus de 20 livres, dont Trois filles et leurs mères aux éditions Charleston et Manger dans ta main(Albin Michel). Elle est également scénariste (Simone de Beauvoir, une jeune fille qui dérange, Marabulles).


Brigit Bontour

Sophie Carquain, Le roman de Molly N. D’après une histoire vraie, Charleston, janvier 2020, 256p.-, 18 euros

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