Portraits de cour au temps de Rubens

Presque partout en Europe et au même moment, l’art du portrait s’impose et sert l’affirmation de soi des rois et des grands de leur cour. En Angleterre avec Holbein, en Espagne avec Velázquez, en France avec Clouet, il atteint des sommets. Les artistes qui les exécutent ont un rang reconnu et qui s’officialise du fait de leur admission auprès des souverains. « Peindre le prince c’était peindre l’Histoire ».
Cet art codifié a sa hiérarchie et le portrait équestre qui ajoute à la majesté du dignitaire, est le plus prisé. Rubens, en 1634-1635, peint un magnifique portrait du cardinal-infant Ferdinand à cheval lors de la bataille de Nördlingen, l’armure ceinte d’une brillante écharpe de soie rouge. Il peint de même un remarquable portrait du duc de Lerma dans « une audacieuse formule frontale », le cheval blanc s’avançant droit vers le spectateur. Comme pour le précédent, afin de donner au tableau un caractère plus naturel et spectaculaire, il ajoute un arbre, des soldats dans le fond, des nuées.
Un dessin au crayon et à l’encre a peut-être été le modello de cette toile, ce qui permet de noter quelques différences notamment au niveau du visage.

Rubens a travaillé à la cour de Mantoue auprès des Gonzague, à la cour d’Espagne, à la cour de Bruxelles, à la cour de France. Diplomate rompu aux missions difficiles, courtisan sachant préserver sa liberté, il sait concilier les antagonismes et trouver la manière d’en tirer des harmonies. La commande que lui fait la reine mère Marie de Médicis en 1622 pour son palais du Luxembourg consacre son génie. Le portrait n’est pas pourtant le domaine dans lequel Rubens a le plus produit. Il atteint un chiffre limité sur l’ensemble de son œuvre peint qui est d’environ 1400 numéros au total. Il prend d’abord ses modèles parmi ses proches. Son autoportrait de 1623 témoigne de la réussite de sa carrière artistique et sociale. Il a 45 ans. Vêtu de noir, portant un large chapeau, la barbe fournie, la subtilité du pinceau autant que son aplomb font qu’il nous dévisage sans condescendance mais sûr de sa valeur.
De même pour le portrait de l’archiduc Ferdinand, archevêque de Tolède, daté de 1635, où la virtuosité de la touche et les alliances de couleurs sombres, par les effets discrets mais vrais qu’elles provoquent, font reluire l’armure et chatoyer l’incarnat de l’étoffe qui barre la poitrine du frère de Philippe IV et d’Anne d’Autriche, « doublement prince, de par sa naissance, et en tant que cardinal, prince de l’Eglise ».
Rubens s’entoura de nombreux collaborateurs, des plus remarquables comme Frans Snyders, Paul de Vos, plus brièvement Antoon Van Dyck, en partance pour l’Angleterre. Il travailla aussi à plusieurs reprises avec son ami Jan Brueghel l’Ancien, le second fils de Pierre Brueghel, notamment pour la série des Allégories des cinq sens qui se trouve au musée du Prado, à Madrid. Ils ont réalisé à quatre mains le portrait de L’Archiduc Albert devant le château de Tervuren, où se reconnaissent les parties propres à chacun, les fleurs, l’eau, les petits animaux et le paysage s’étendant à droite de la toile étant de Brueghel, le portrait à gauche revenant à Rubens.

Entre Marie de Médicis, épouse d’Henri IV et Pierre Paul Rubens (1577-1640), les relations sont privilégiées. En dehors du cycle notoirement fameux au Louvre, « mêlant la narration historique avec un appareil mythologique et allégorique », comptant 24 tableaux et manifestant la facilité avec laquelle Rubens s’approprie l’espace, l’exploite, le domine et le transforme en un long poème épique, le peintre est l’auteur d’autres portraits de Marie de Médicis, notamment une éblouissante huile de 1622 la montrant très élégamment habillée, à la fois grave et aimable, dont la présence vivante s’accroît des jeux de contrastes des noirs et des blancs. La reine est au centre des portraits signés d’autres artistes et qui entourent ceux de Rubens. La gravure d’abord puis les tableaux diffusèrent en effet largement l’image de cette femme au destin partagé entre la gloire et le drame, l’héroïsme et les contraintes politiques.
Frans II Pourbus le Jeune, Antoon Van Dyck, Gerrit Van Honthorst ont aussi peint la souveraine et il est particulièrement intéressant de comparer les versions qui s’alignent dans l’exposition qui s’est ouverte dernièrement au musée du Luxembourg.

Rehaussés par une scénographie somptueuse, les 53 œuvres exposées témoignent de l’apparat de ces portraits, de la magnificence des vêtements, de la vérité psychologique qui le plus souvent transparaît derrière une certaine raideur, la retenue, le maintien qui sied à de tels personnages. Autour de Rubens triomphant de sa hauteur, d’autres œuvres encadrent celles qui sont effectivement de lui, soit qu’elles soient attribuées, soit de son atelier, soit copiées d’après lui ou encore retouchées par sa main, voire anonymes, permettant ainsi la confrontation avec ses rivaux.
Enfin d’autres tableaux de maîtres comme Philippe de Champaigne et Velázquez, de peintres moins connus comme Cornelis de Vos et Gaspard de Crayer, des gravures de Jean-Marc Nattier, élargissent le genre et constituent une longue galerie de célébrités.

Rédigé par d’éminents spécialistes, guide essentiel pour l’exposition, l’ouvrage fournit une documentation abondante et érudite.

Dominique Vergnon

Dominique Jacquot (sous la direction scientifique de), Rubens, portraits princiers, 21,5x28 cm, 175 illustrations, éditions de la Réunion des musées nationaux/Grand Palais, septembre 2017, 240 p. –, 35 euros.

www.museeduluxembourg.fr; jusqu’au 14 janvier 2018    

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