Nelida Pinon : les voyages de Matteus

Sous forme à la fois autobiographique et de flux de conscience, cette fiction devient un roman d'apprentissage et un voyage dans le XIXe siècle portugais dans un mixage de vérité et de mensonge ou si l'on préfère de réalisme et d'imaginaire.

Matteus – le narrateur – retrace sa vie marquée par un choc affectif premier qui va donner à sa vie un sens particulier. Passionné d'histoire et victime d'une passion amoureuse jouée d'avance il va plonger dans un système d'identification qui tient de la chimère. Le tout à travers trois lieux qui constituent la mythologie personnelle et d'une certaine manière collective d'un tel héros.

D'un village de la province du Minhio il va rejoindre d'abord Lisbonne puis la destination rêvée et fantasmée depuis l'enfance : Sagres dans l'Algarve à l'extrémité du Portugal entre Afrique et Europe et choisi par l'Infant Henrique pour y fonder une école navale préparatoire aux expéditions propres à créer l'empire mondial portugais.

Le récit dans ce qu'il rassemble  mêle tout au presque ; contact avec la nature et les animaux, l'amour spirituel et sexuel, bonheur et malheur selon des liens et des rites ancestraux le tout dans un monde où le naufrage est collectif et le salut individuel.
D'où tout un jeu de jonctions mais aussi de renversements de valeurs dans une langue riche, baroque mais précise. Épique et lyrique aussi. Mais selon l'évangile littéraire chère à l'auteure.

Rien n'est superflu et à l'inverse tout est tendu  dans la vie d'un tel triste rebelle. Il ne se paie pas de mots, va à l'essentiel en son voyage au long cours qui peu à peu donne forme à l'informe tant que faire se peut par ce qu'il ajuste et rassemble. Et cela est fascinant de bout en bout, le tout dans les ruines des villes et les bribes de son existence.

Celle dont le prénom, Nélida, est un pseudonyme, et l’anagramme du nom de son grand-père (Daniel) et dont la famille est issue de l’immigration galicienne, après avoir raconté cette histoire dans son roman La République des rêves va traiter d'une certaine manière à l'envers la question de l'immigration.
Cela rappelle parfois L'Amérique de Kafka, mais avec Nélida Pinon l'histoire va jusqu'au bout entre errances, dérives de son "navigateur". C'est peu diront certains mais il se serait contenté de moins.

Jean-Paul Gavard-Perret

Nélida Pinon, Un jour j'irai à Sagres, traduit du portugais par Didier Voïta et Jane Lessa, Des femmes-Antoinette Fouque, mai 2022, 480 p.-, 24€

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.