Je t’aime, moi non plus... en version roumaine

Si La jalousie d'Alain Robbe-Grillet laisse pantois dans la manière dont l’auteur aborde le sujet – manifestement il ne sait pas ce qu’est la jalousie, il demeure, fort heureusement, d'autres romans sur ce thème... compliqué. Voici une manière toute latine d’étudier ce sentiment. Les Roumains sont nos cousins. Des latins saupoudrés d’essence slave, autant dire des écorchés vifs au cœur chaud. Avec cet humour décalé qui donna Ionesco, Cioran, Tzara…
Et Camil Petrescu dont le roman initialement paru en 1930 nous arrive dans une taille minimale pour l’emporter partout. Un chef-d’œuvre ne se laisse pas. On l’aura donc dans sa poche. En transport, à la pause-déj, tout le temps le nez dedans tant qu’on ne l’aura pas fini…
Car ce petit bijou d’audace littéraire captive. Impose son rythme. Rend dépendant. On savoure la plume délicate de l’écriture. La musique. L’humour. L’ambiance…
Cette Roumanie de l’avant Grande guerre, à quelques jours de l'ouverture des hostilités. On découvre cette société bourgeoise un peu hors-sol. On suit avec gourmandise Stefan dont le statut change du jour au lendemain grâce à un héritage. Ella, sa femme, se pare alors des plus belles robes. Ils se mettent à fréquenter les mondains. Leur amour n’y résiste pas. Non pas qu’il ne dure que trois ans – comme dit l’adage – mais bien que Stefan y perd son humour. Trop riche. Trop flatteur. Trop jaloux, surtout… Pris comme un enfant dans un piège qu’il s’est lui-même tendu, il ne comprend pas les usages. Se crispe. Fait des caprices. S’emporte…
Tandis que la guerre s’invite. 1916, il faut choisir son camp. Le roi de Roumaine laisse traîner jusqu’au jour au Stefan est enrôlé. Mais il ne partita pas sans une dernière nuit d’amour. Mais avec qui, puisqu’il est officiellement séparé de sa femme. Saura-t-il lui pardonner ? Saura-t-elle lui avouer son amour toujours aussi fort ? Parviendra-t-il à déserter le temps imparti sans se faire prendre ?
Entre la farce, la chronique sociétale et le drame, Camil Petrescu déroule un récit poignant. Une histoire qui noue les entrailles. Car sa portée est au-delà des temps et des frontières. Cette boule au ventre qui fusille la relation. Cette morsure qui déchire les couples. La voilà incarnée dans sa plus belle interprétation. Grand écart au pays de la passion, ode au pardon, ce roman ventile toutes les approches pour mieux crucifier l’anathème en son centre. Si la jalousie pimente la relation et amuse les candides, elle est aussi le cancer de l’amour… mais elle peut se guérir.

Annabelle Hautecontre

Camil Petrescu, Dernière nuit d’amour, première nuit de guerre, traduit du roumain par Laure Hinckel, édition des Syrtes, coll. Syrtes Poche, juin 2019, 432 p.-, 12 €

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