Une monographie captivante sur un cinéaste de premier plan

La stature d’Alexeï Guerman n’a fait que croître ces dernières années, non seulement en Russie, où un recueil de ses interviews, essais et scénarios a paru en 2011, mais aussi dans les pays anglo-saxons et en France. Après la rétrospective que la Cinémathèque française lui a consacrée en 2015, voici paru la première étude approfondie de l’œuvre du cinéaste, une volumineuse monographie qui comporte aussi des entretiens avec Guerman lui-même, avec son épouse et avec Guy Seligmann, le coproducteur de Khroustaliov, ma voiture !

 Philippe Coutarel analyse le parcours du réalisateur en faisant des rapprochements et des oppositions avec les écrits de son père, Youri Guerman, écrivain officiel, dont Alexeï a adapté certains textes pour en tirer les scénarios de La Vérification et de Mon ami Ivan Lapchine. Ces comparaisons lui permettent de définir l’identité artistique du cinéaste avec une grande finesse, en faisant ressortir à la fois les choix radicalement opposés à ceux du père – Alexeï ne sera jamais un serviteur du Régime, loin de là ! –, et la manière dont le fils s’est nourri de littérature, s’en étant imprégné depuis l’enfance. Au-delà de l’influence paternelle, Coutarel révèle un vaste réseau de références littéraires, allant de Pouchkine à des auteurs oubliés, que seul un vrai connaisseur peut déceler dans les films de Guerman. C’est là l’apport le plus inattendu de ce livre, particulièrement bienvenu pour un lectorat français globalement peu avisé en matière de littérature russe.

   Quant à l’aspect proprement cinématographique de l’étude, il est très éclairant lui aussi, conjuguant des commentaires détaillés de la forme avec des explications pertinentes du récit filmique et de son sous-texte.  Au passage, l’auteur nous fournit quantité de précisions utiles sur la façon de vivre, les repères et les événements sociaux ou historiques dont on trouve l’écho dans les films de Guerman. Tout cela donne une lecture captivante, le style de Coutarel étant exempt de pédanterie.

  On pourrait difficilement mieux faire pour mettre en valeur un cinéaste à la fois exceptionnel et relativement méconnu en France. Je conseille ce livre non seulement aux cinéphiles, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à la culture russe.


Philippe Coutarel, Alexeï Guerman, éd. du Revif, septembre 2016, 450 p., 20

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