Pascin : un vent de légèreté

Du 12 septembre au 28 octobre 2017, les galeries Le Minotaure & Le Gaillard plongeront leurs visiteurs dans… la peinture décalée, coquine et libertaire, d’un petit génie débarqué à Paris en 1905 de sa Bulgarie natale, fuyant une riche famille juive qui veut faire de lui un bourgeois cossu quand le jeune Julius Mordecaï Pincas ne rêve que de jupons et de fessiers bien dodus !
Déjà, en 1901, envoyé à Vienne faire des études supérieures, il pratique l’école buissonnière pour conter fleurette à la propriétaire d’une luxueuse maison close (sic). S’en suivra une prise de conscience qui le conduira à Munich et Berlin – où il fréquentera les Académies des beaux-arts –, puis la France où il compte bien s’installer, bénéficiant d’un contrat en or passé avec la revue allemande Simplicissimus pour laquelle il livre des dessins et caricatures… ce qui parachève la brouille avec sa famille.
Le pseudonyme s’impose, ce sera Pascin !

La Ville lumière l’hypnotise tout autant qu’elle le fascine : le Prince des trois Monts (Montparnasse, Montmartre, Mont de Venus) sort beaucoup, fréquente tout autant, s’encanaille avec les anarchistes, peint des choses encore jamais vu – d’autant qu’il n’a pas à séduire les galeristes étant donné la rente que Simplicissimus lui verse –, fini par prendre femme et à exposer (avec succès !) puis traverse l’Atlantique en 1914, ayant d’autres choses à faire de sa vie que chair à canons. Il voyagera donc jusqu’en 1920 où il regagne Paris sous pavillon américain, mais les valises ne resteront pas sous le lit trop longtemps.

Toujours enfermé dans son étiquette de coquin, Pascin n’est pas le peintre du stupre ou l’obsédé sexuel que beaucoup ont décrit par facilité. Tout l’intérêt de cette exposition – et du catalogue – composés par Maria Tyl est l’angle d’approche novateur ici étudié : l’œil de Pascin ! La manière dont il scrutait le monde, et pourquoi de cette façon et pas d’une autre.

S’appuyant sur les techniques d’investigation de l’historien d’art américain Michael Baxandall et du sociologue Pierre Bourdieu, Maria Tyl expose l’approche spirituelle de Pascin, enfant surdoué mais perdu dans un monde à sa démesure. Doté d’une main extraordinaire, il n’avait qu’à se poser à la table d’une brasserie, chapeau melon vissé sur l’occiput, sortir son carnet, et laisser ses yeux manger le décor pour en restituer aussitôt toute l’allégorie tendre et cruelle sur le papier.

On sentait en lui un être exceptionnel, aristocrate mais attiré par la crapule, toujours inquiet mais inquiétant. Un très grand artiste. Voilà ce qu’était Pascin.
André Warnod.

Sociologue Pascin ? Certainement, une lucidité déclarée dès le plus jeune âge, et traduite toujours par le dessin. Il noircit des carnets pour fuir l’autorité de son père et le cynisme de la haute-bourgeoisie. Plus tard, à Paris, il sera ce voyeur impénitent que rien n’arrête, l’insolent qui fait mouche, le dandy de ces dames, une attitude qui lui attirera l’amitié de Paul Morand, Mac Orlan (dont il illustrera les poèmes), André Salmon, ou encore Francis Carco…

Mais Pascin était avant tout un nomade, étranger malgré tout, et donc électron libre qui défaisait ses valises pour les refaire aussitôt : la France tout d’abord, puis la Belgique, l’Espagne, le Portugal, l’Afrique du nord, etc. Mais il ne cherche pas l’exotisme ou le pittoresque comme d’autres, il se complait à croquer les scènes de la vie ordinaire : c’est là, dans ces petites détails du quotidien qu’il déniche le point nodal des mœurs typiques du pays et les tourne en ridicule, s’amusant d’un costume désuet, d’une manifestation provinciale, peignant aussi bien les grosses matrones des quartiers réservés de Tunis que les joueurs de jazz de New York. De Miami il rapportera une série empreinte du  souffle de la liberté et du mouvement presque animal découvert dans la démarche des indigènes. La Havane lui révèlera les faciès des mulâtres aux traits exaltés…

Pascin, finalement, sera en quelque sorte l’incarnation du Juif errant qu’il s’est plu à peindre plus d’une vingtaine de fois, se mettant en scène parfois dans des situations très particulières (un tableau le montre même en hermaphrodite). Mais comme tout être complexe, il mania l’allégorie de manière fluctuante peuplant ses œuvres de personnages mythologiques (Léda, Danaé), légendaires et bibliques (David, Bethsabée, Salomé, Judith), historiques (Socrate, Napoléon) voire tirés de leur sommeil littéraire (Arlequin) qui, avec la grâce d’un crayon, prenaient une autre dimension.
Mais Pascin ne fit pas que des dessins et de petites peintures, certaines de ces pièces sont magistrales aussi par la taille. Lorsqu’il creuse l’un de ses sujets favoris – Lazare – il laisse libre cours à sa passion, et cela donnera sa plus grande toile jamais peinte : 2,44 mètres sur 3,52 !
Réalisée entre 1923 et 1925, elle lui inspira ce commentaire qui n’est pas sans rappeler les motifs qui inspirèrent Edgar Degas quand il sculpta sa Petite Danseuse de quatorze ans :  C’est un sujet qui conviendrait à mon père. Ces bourgeois qui se croient tout permis ! Des hypocrites ! S’ils forniquent à tort et à travers, c’est seulement pour bien montrer que c’est interdit !

Mais avant tout, Pascin était un éternel amoureux : des femmes, des plaisirs, de l’amour, aussi… Une femme et une maîtresse, tout cela au grand jour – à sa mort les deux devinrent même amies – pour tenter de briser l’étau qui se resserre chaque jour devant la finalité de cette course insensée qui lui montrait aussi la vacuité de la pornographie, ce que certains lui reprochèrent… Mais au-delà d’une quelconque vulgarité qui n’est pas ici de mise (toutes ses peintures, même érotiques, sont porteuses d’une candeur charmante qui n’altère en rien l’esprit et ne véhicule aucune position déplacée – sauf à être un pisse-froid !), car la quête sensorielle de Pascin possède une visée spirituelle, un éternel besoin d’amour, en partie sans doute dû à son enfance chahutée – et ce n’est pas le charlatan Viennois qui dira le contraire – mais surtout à l’hyper sensibilité qui lui vrille l’estomac, ce besoin éperdu d’absolu qui, faute de le trouver, le poussera au suicide.
Maria Tyl le souligne très justement que l’engagement érotique de Pascin fut souvent mal compris. Certes, l’érotisme et le désir animaient toute son œuvre, mais avant tout c’est la vulnérabilité féminine qui l’émouvait. Mac Orlan l’appela « peintre de la vie sensuelle et indulgente ». Il n’était jamais irrespectueux et n’avilissait jamais celles qui donnaient une valeur sentimentale à sa vie.


Il faut remonter à 2007 au musée Maillol, ou en 1995 au musée-galerie de la Seita pour évoquer une exposition digne de Pascin, il était donc grand temps que ses toiles soient derechef suspendues aux cimaises pour le plus grand plaisir de nos yeux ravis de tant d’émotion. Un détour s’impose donc par les rues des beaux-arts & Mazarine, d’autant que le catalogue qui accompagne cette exposition est une nouvelle pierre à l’œuvre de mémoire de ce peintre hors du commun dont la mort, en 1930, marqua la fin de l’époque de bohème.
En effet, il n’est pas anodin que le livre de Jerrold Seigel indique cette année comme date charnière : viennent ensuite Dada et le Surréalisme qui sont déjà porteurs d’autres questionnements et motifs. La vie devient trop sérieuse, trop exigeante, trop envahie par ce qu’un écrivain, Lucien Descaves, nommait le ver de la politique, pour autoriser la légèreté et la spontanéité d’antan.
Et aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de la légèreté de Pascin !

 

François Xavier

Maria Tyl, L’œil de Pascin, 160 x 200, +50 illustrations couleur, éditions Le Minotaure, septembre 2017, 96 p. – 20 €

 

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