Les incroyables porcelaines des deux princes

Deux dates tout d’abord, qui marquent la proximité dans le temps mais aussi la rivalité dans l’excellence ! A vingt ans d’intervalle, deux prestigieuses manufactures se créent. En 1710, à Meissen, au bord de l’Elbe, qui produit de la porcelaine à pâte dure, c’est-à-dire contenant du kaolin. En 1730, à Chantilly, qui se lance dans la porcelaine à pâte tendre, sans kaolin donc. Entre ces lieux, une émulation source d’une créativité sans précédent s’instaure.

Deux noms de princes ensuite. Auguste le Fort d’un côté, électeur de Saxe et roi de Pologne, qui  possède plus de 25 000 pièces, toutes d’une rare beauté et qui lui valent un rang honorable parmi les anciennes monarchies héréditaires. Dresde, au bord de l’Elbe, située à une vingtaine de kilomètres de Meissen, est la brillante capitale de la Saxe et le lieu de résidence d’Auguste le Fort. Le prince Louis Henri de Condé de l’autre, petit-fils de Louis XIV, que l’on appelle aussi le duc de Bourbon.
Bâtisseur actif et collectionneur avisé, il nomme le chimiste Cicaire Cirou maître de manufacture et dans le même temps, fait construire les Grandes Ecuries. Ces deux princes ont une identique passion pour la porcelaine, cet or blanc qui, se prêtant à toutes les formes inventives possibles, permet l’exécution d’objets merveilleux, extravagants comme le prouvent certains de ceux qui sont exposés, fragiles autant que précieux. L’un et l’autre portent une admiration sans limites aux porcelaines asiatiques qui affluent en Europe au long du XVIIIe siècle.
Le style Kakiemon, du nom du Japonais qui serait le découvreur du secret des décorations à l’émail de la porcelaine, est apprécié tant à Meissen qu’à Chantilly. Motifs floraux et animaliers, scènes quotidiennes avec de petits personnages, bambous et dragons animent dans des gammes de tons délicats comme le bleu léger, le turquoise soutenu, le rouge sombre, le jaune étincelant des séries sans fin d’assiettes, de bols et de bouteilles à saké. On est alors au début des années Rocaille, qui sera peut-être un style plus spécifiquement français, à rapprocher du style Rococo, qui se diffusait partout.

  

Le prestige de la porcelaine d’Extrême-Orient, chinoise autant que japonaise, est alors immense. Si au début de la production de la manufacture de Meissen, les pièces copient celles qui sont importées, au point que les invités du roi ou les visiteurs extérieurs…ne pouvaient guère distinguer les originaux des copies, progressivement la maîtrise technique et les innovations esthétique ajoutées à l’évolution des goûts favorisent la réalisation d’œuvres chaque fois plus originales, plus travaillées, plus grandes, jusqu’à ces somptueux oiseaux d’une blancheur parfaite, le héron, le vautour ou cet ara modelé en 1732 par Johann Joachim Kändler, un des remarquables artistes avec Johann Gottlieb Kirchner de cette triomphante époque.

 

Exposés suivant une éblouissante scénographie conçue par Peter Marino dans la Galerie des Batailles du château de Chantilly, ces oiseaux attirent le regard et s’intègrent dans la suite d’une volière qui, autant par les dimensions que les couleurs et les attitudes naturelles, souligne la variété et la naturalité des oiseaux saxons, grues, rolliers, perroquets, huppes, butors, tous plus fascinants les uns que les autres. Un jour viendra où les savoirs saxons dépasseront ceux de l’Orient, ce qui décida Auguste le Fort à exposer séparément ses porcelaines puis à placer symboliquement au-dessus de celles d’Asie orientale les pièces fabriquées localement.

 

Le thème du magot, appelé aussi pagode, représentant un moine assis, son ventre débordant de son vêtement, souriant, bénéficie de faveurs particulières à Chantilly. Outre des pièces d’une exceptionnelle rareté, comme cette pendule à orgue, unique au monde, possédant au bas des tuyaux une guirlande de singes musiciens, le parcours de l’exposition propose des comparaisons intéressantes entre les magots de Meissen et ceux de Chantilly à décor polychrome où la fantaisie le dispute à l’exotisme.
Des traits qui se retrouvent, mêlés souvent à des notes d’humour, chez ces éléphants aux yeux rieurs et ces singes se moquant des travers humains. Ils apparaissent à nouveau dans les assemblages, véritables pièces montées où les porcelaines sont combinées à de superbes montures d’orfèvrerie, rehaussant toujours plus l’élégance et la richesse des pièces, comme ces candélabres aux carlins de Meissen ou cette pendule au personnage chinois de Chantilly, les deux de 1745.

 

Ouvrage et exposition témoignent de ces dialogues autour du luxe, du raffinement, du pittoresque, du commerce, des savoirs et de l’histoire de cette aventure de deux princes éclairés. Posés sur des consoles, du mobilier Boulle, des cheminées, les objets, à la manière de ceux que collectionnèrent Louis XV et Madame de Pompadour, reçoivent de la lumière comme un surcroît de grâce et de distinction.

 

Dominique Vergnon

 

Mathieu Deldicque, La fabrique de l’extravagance, porcelaines de Meissen et de Chantilly, 300 illustrations, 270 x 205, éditions Monelle Hayot – Domaine de Chantilly, septembre 2020, 264 p.-, 29 €

www.domainedechantilly.com; jusqu’au 3 janvier 2021

 

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