Elfreide Jelinek : le théâtre et son double

Non seulement Elfriede Jelinek n'a cessé de bousculer, de scandaliser la société bourgeoise autrichienne : elle a abordé la condition des femmes dans ses romans comme dans son théâtre.
Sa toute première pièce, Ce qui arriva à Nora après qu’elle a quitté son mari  est un hommage rendu à Ibsen et à sa pièce La maison de poupée, dont Nora est le personnage central. L’œuvre du Norvégien repensa la condition féminine et Jelinek a donc rebondi dessus en une écriture d'un certain  silence mais pour la scène.

Le drame d’Ibsen s’achève sur le départ de Nora lorsqu'elle quitte ses enfants et un mari incapable de l’épanouir et de mesurer tous ses sacrifices. Jelinek évoque la suite de sa vie de bourgeoise déclassée et vieillissante dans l’Allemagne des années vingt.

Nora, chez Ibsen, dansait la tarentelle lors d’un bal. Jelinek la transforme en acrobate, gymnaste qui donne libre cours à sa sensualité exubérante en poussant son corps jusqu’à la rupture.Le tout dans une époque du capitalisme de l’industrie, des opérations financières douteuses et des spéculations qui appauvrissent la société (allemande mais pas seulement) à travers la crise de 1929 et la chute vertigineuse du mark.
Mais l'objectif de Jelinek est de savoir si l'héroïne peut s'en sortir en échappant à sa situation de femme séduisante et de mère de famille dans une suite de 18 tableaux qui la placent en divers lieux "sociaux" ( bureau de recrutement, atelier d’une usine, chambre à coucher, etc.) où Nora se retrouve en tant qu'objet érotique face à l’autorité du désir masculin.

À mesure que la pièce avance l'héroïne perd espoirs et rêves. Les femmes ne sont que des "machines" accablées par ceux qui ne donnent rien en échange : La femme est décapitée et découpée en morceaux. On l’autorise seulement à avoir un corps et on lui coupe la tête parce que des pensées risqueraient de s’y loger, dit Nora

À la fin de la pièce de Jelinek, tout est bouclé : Nora se retrouve dans la salle à manger de la famille Helmer, servant le repas du soir à son mari qui lit le journal. Elle semble revenue chez Ibsen. Mais déjà l'odeur du nazisme suinte. Et les juifs deviennent les boucs émissaires d'une société en crise et qui va trouver en eux le plus tragique des exutoires.
Créée en 1979 à Graz, en Autriche, dans une mise en scène de Schildknecht la pièce causa le scandale. Elle n'a - sauf erreur - jamais été montée en France mais fut présentée en 2019 à Bruxelles (théâtre des Martyrs).

Jean-Paul Gavard-Perret

Elfriede Jelinek, Ce qui arriva après le départ de Nora, suivi de Après Nora, traduit de l'allemand, par Magali Jourdan & Mathilde Sobottke, L'Arche éditeur, février 2020, 120 p.-, 14 €

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