Corot, l’homme et la nature

"Ce que j’aime tant chez Corot, c’est qu’il vous donne tout avec un bout d’arbre."
Ces mots auraient été dits par Renoir, qui saluait ainsi la bonté naturelle envers les autres et cette affection particulière pour la nature de Camille Corot (1796-1875). A maintes occasions, Corot  prouva à plusieurs artistes souvent démunis sa générosité. Daumier notamment ne manqua jamais de se souvenir que grâce à Corot, il put acquérir la maison de Valmondois où il mourut.

Dans le même temps, Corot peignait des arbres qui prennent rang parmi les plus beaux de la peinture française. Dans Le Bain de Diane, par exemple, huile sur toile de 1855, un magnifique ensemble de hauts arbres s’élance vers le ciel, troncs solides et sombres soutenant de fines ramures, des feuillages qui s’épanouissent et couvrent de leur fraîcheur sans arrêter la lumière les jeux des femmes qui sont entrées dans l’onde.
On pense en voyant ce décor à celui de La Danse des Nymphes, empreint de la même légèreté de la touche, d’une identique joyeuse douceur dans les rythmes. Depuis Fontainebleau, puis lors de son séjour en Italie, Corot jamais ne cessa de peindre bois, bosquets, futaies, d’en faire le motif dominant des paysages, traduisant à travers eux et leurs couleurs changeantes le passage des saisons et leur accord à l’humain. Qu’il soit bouleau gracile ou chêne enraciné, lien entre terre et ciel, l’arbre était pour lui un élément majeur de la composition, une invitation à la méditation.

Dans le tableau La levée des filets, de 1870, son pinceau rend avec autant de force que de délicatesse les contrastes entre les plans qui se succèdent sous un mouvement pressé de nuages gris aux reflets argentés, presque menaçants, insistant sur le travail et l’effort du pêcheur et ramenant les personnages de l’arrière à une infime présence. Cet attrait encore pour la verdure se retrouve quand Corot est aux Tuileries, à Ville d’Avray, à Mûr-de-Bretagne.

 

Il aime et décrit à merveille ces atmosphères de campagne recueillie, de sous-bois illuminé par les lueurs du couchant comme on le voit dans les toiles consacrées à Mortefontaine. Il est évident que la création d’une façon générale l’enchantait. Ce regard bienveillant et pourtant exigeant sur le monde a permis à Corot de passer de la restitution attentive et rigoureuse de la nature à son évocation libre et fluide, preuve de ce glissement progressif de la construction intellectuelle à l’interprétation sentimentale.   

Corot composait lui-même ses verts, en général des jaunes mélangés à d’autres couleurs, du bleu de Prusse entre autres. D’après le peintre Decan, un proche de Corot et selon ce que rapportent dans le neuvième tome de leur Journal (1892-1895) Edmond et Jules de Goncourt, Corot préférait peindre le matin, évitait le grand soleil et disait : "Moi, je ne suis pas un coloriste mais un harmoniste."
Toujours d’après Decan, "la formule du père Corot pour faire des chefs d’œuvre en face de la nature" était de "s’asseoir au bon endroit, établir ses grandes lignes, chercher ses valeurs, et se touchant tour à tour la tête et la place du cœur, mettre sur la toile ce qu’on sent là et là". Longtemps certains critiques jugèrent sa peinture "plate et sans ressort", considérant la couleur "trop uniforme, ou encore notant que "Corot parle la langue du paysan en bégayant".

L’œuvre a été depuis et heureusement, autrement jugée.
En écrivant ce portrait aux traits accusés de Corot, le célèbre historien de l’art qu’est Elie Faure met en relief toutes les facettes de l’homme et de son art, rappelant "cette unité complexe qui en fait le perpétuel miracle".
A regarder les tableaux de Corot, ce qui devient l’évidence est cet "équilibre imperturbable entre ce qui est intelligence et vie, entre ce qui germe et croît et bouge et ce qui est précis et arrêté". Dans un style riche et serré, ces pages en les analysant finement l’un et l’autre, permettent de mieux saisir et l’homme et son œuvre.
Au moment où va s’ouvrir une exposition consacrée à la figure humaine et aux nombreux visages chez Corot, elles contribuent à entrer dans leur vérité et peut-être leur mystère.

 

Dominique Vergnon

 

Elie Faure, Corot, 15x23 cm, 8 illustrations, les éditions de Paris - Max Chaleil, janvier 2018, 88 p. - 13 euros. 

Musée Marmottan Monet, 2 Rue Louis Boilly, 75016 Paris ; du 8 février au 8 juillet 2018 ; www.marmottan.fr

 

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