La ronde des mensonges d'Elisabeth George ou l'art d'écrire un polar qui n'en est pas un

Ian Cresswell, comptable de l’entreprise Fairclough, est retrouvé mort noyé dans la province de Lake District, Cumbria. Son oncle, le riche industriel lord Fairclough, fait jouer ses relations auprès de l’adjoint au préfet Hillier et c’est ainsi que l’inspecteur Linley, huitième comte d’Asherton, est prié de mener une enquête discrète sur une mort qui pourrait - et utilisons bien le conditionnel - ne pas être accidentelle. Secondé par Simon et Deborah Saint James et par sa coéquipière Barbara Havers, l’inspecteur Linley va devoir faire preuve de finesse pour démêler le vrai du faux car les suspects sont nombreux : le fils de Lord Fairclough, un ancien drogué repenti marié à une femme très belle et très mystérieuse, ses sœurs Manette et Mignon, l’ex-femme que Ian a quitté pour Kaveh, un jeune Iranien, ce dernier qui hérite de leur domicile et lord Fairclough lui-même qui semble cacher de vilains secrets. Une plongée dans l’establishment britannique comme dans un panier de crabes.

 

La ronde des mensonges est la dix septième enquête de l’inspecteur Linley. Une série qui connaît un succès littéraire mais aussi télévisuel puisqu’elle a été adaptée pour la télévision britannique sous le nom de Meurtres à l’anglaise (The inspector Linley Mysteries), un titre qui n’est pas sans rappeler l’œuvre d’Agatha Christie. Et de fait Elisabeth George s’inscrit bien dans la lignée de la reine du polar : tout d’abord, on y retrouve un enquêteur, aristocrate distingué, secondé par une adjointe issue du prolétariat, le duo marchant à merveille. Tout comme Hercule Poirot, l’inspecteur Linley a une approche psychologique de l’enquête : bien que ne négligeant pas les indices matériels, il s’attache surtout aux mobiles de chacun des membres de la famille pour découvrir que tous ont un motif pour souhaiter la mort de Ian Cresswell. Il ne faut donc pas s’attendre à des rebondissements à chaque chapitre d’autant que, rappelons le, on ne sait pas s’il y a eu crime ou pas. Et c’est en cela que réside le génie d’Elisabeth George : nous tenir en haleine autour d’un crime qui n’en est peut être pas un. Et le crime n’est d’ailleurs pas celui que l’on croit. Le lecteur se retrouve plongé au cœur d’une famille d’aristocrates dont le vernis de respectabilité s’écaille au fur et à mesure de l’enquête. Tous en prennent pour leur grade : la mère démissionnaire, le fils ex drogué, la fille manipulatrice qui fait du chantage affectif, le mort lui-même qui a quitté femme et enfants pour un homme. Bref, un condensé de gros titres d’un tabloïd, ces derniers n’étant pas épargnés non plus par la même occasion.

 

Elisabeth George mène ainsi les lecteurs par le bout du nez et multiplie les fausses pistes mais aussi les histoires parallèles. Au-delà de l’enquête, on suit l’évolution de l’inspecteur Linley dont la femme, Helen, a été assassinée dans l’opus précédent et qui cherche à oublier la défunte dans les bras de la commissaire Ardery, une alcoolique repentie. On suit également le parcours de Deborah et Simon Saint James qui doivent faire face à leurs problèmes de fertilité et aux différentes solutions leur permettant d’avoir un enfant : l’adoption ouverte ou non, le recours à une mère porteuse. Enfin Barbara Havers qui, sur ordre du commissaire Ardery, doit essayer de se féminiser davantage tout en gérant son attirance pour son voisin marié et père de famille. Un roman qui reste ouvert donc puisque ces histoires sont loin d’être réglées. En plus de cela, Elisabeth George développe des thèmes actuels comme la pédophilie sur internet, le diktat de la mode, l’homosexualité dans des communautés particulièrement présentes en Angleterre. L’auteur fait ainsi preuve d’une très bonne connaissance d’un pays dont elle n’est pourtant pas originaire puisqu’elle est américaine : perfectionniste, elle n’a pas hésité à séjourner dans le Cambria pour s’imprégner et retranscrire une atmosphère digne des sœurs Brontë.

 

Un polar sans crime est une gageure qu’Elisabeth George a donc réussie haut la main avec La ronde des mensonges en attendant avec impatience la suite des aventures de l’inspecteur Linley et de ses acolytes.

 

Julie Lecanu

 

Elisabeth George, La ronde des mensonges, traduit de l’anglais par Isabelle Chapman, Presses de la Cité, octobre 2012, 659 pages, 23 euros.

           

 

 

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