Philosopher avec Game of Thrones

Lord Varys en pascalien pense que les hommes sont corrompus et donc agit pour maintenir la stabilité quelles que soient les changement qu'il doit opérer dans ses allégeances. 
Tywin Lannister qui n'agit qu'en vertu de l'efficacité de l'action, quitte à être un méchant homme au service d'un principe supérieur, la Cité (ou la famille), dans une application stricte des préceptes du Prince de Machiavel. Ned Stark qui n'agit qu'en respect de la morale qu'il a édictée conformément aux règles ancestrales, au risque de se perdre et de mourir, comme si suivre cet impératif catégorique kantien était sa seule voie. Daenerys Targaryen qui agit en parfaite platonicienne régissant la cité en sage éclairée, jusqu'aux combats contre les Fils de la harpie qui lui impose de conserver certaines coutumes, dont les arènes, et d'orienter sa manière de gouverner vers un aristotélisme fondé sur la sagesse immanente aux usages installés dans le temps, restant tout de même la porteuse d'une antique flamme (tout comme d'un point de vue historique il est évident qu'elle incarne l'Empire romain). 

Ce passage de Platon à Aristote marque une évolution dans l'histoire de la philosophie, et cela reste vrai dans Game of thrones où les grands principes fondateurs se voient contre-argumenter par des disciples, comme par exemple quand Robert Baratheon veut faire assassiner Daenerys Targaryen alors encore une enfant (par principe de réalité) et que Ned Stark s'y oppose (par principe moral kantien), car tuer une jeune innocente est un crime gratuit. Jeremy Bentham s'opposerait ainsi à Kant, affirmant avec Robert Baratheon qu'il est plus sage de tuer une innocente qui risque d'en faire tuer des milliers que de courir ce risque... 

Une des multiples richesses du cycle du Trône de fer, outre la puissance narrative et l'immersion sans un monde cohérent et puissant (fondé sur deux sources majeures : "la guerre des deux roses" qui opposa deux familles (les Lancastre et les d'York, lire Lannister et Stark...) en Angleterre et le cycle romanesque supervisé par Maurice Druon Les Rois Maudits), la richesse des personnages qui imposent chacun une figure politique, comme si Martin avait souhaité opérer un conflit entre philosophie politique non plus sur les rayonnages d'une immense bibliothèque mais sur un vrai champ de bataille, mettant en action les unes et les autres et regardant, comme un bon démiurge pervers, les conséquences. Ned Stark va se faire décapiter parce qu'il respecte sa philosophie morale kantienne et assume les conséquences de l'impératif catégorique qui a toujours gouverné sa vie, alors que tous les lecteurs auraient souhaité en lui un rien de rouerie, juste pour survivre car c'est un personnage très attachant.  

Sam Azulys sait lire en chaque personnage la valeur philosophique qui le meut, non pas qu'il veut y accoler une théorie ou une pensée mais celle-ci vient d'elle-même, comme si le personnage avait été pour Georges R. R. Martin l'illustration même de cette pensée philosophique, mais qu'au lieu de déplacer des concepts il avait préféré faire s'entre-tuer des hommes. Ainsi de convoquer aussi bien Rousseau que Descartes, Jung, Heraclite, Freud, Pascal, Nietzsche, Shopenhauer, Hobbes, Judith Butler, Spinoza, Tocqueville, Hegel, Sartre ou Murielle Gagnebin... et de poser quelques idées forces pour relire ce cycle romanesque au regard des forces philosophiques qui le traverses, comme "Bran et la conscience" (Rousseau, Descartes), "Tyrion et le Pouvoir" (Machiavel), "Eddard et la Justice" (Kant), "Daenerys Targaryen et la Liberté (Spinoza, Sartre, Hegel).

Loïc Di Stefano

Sam Azulys, Philosopher avec Game of Thrones, Ellipses, 241 pages, appendice "notions et philosophes", mars 2016, 16 eur

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