Le petit vieux des Batignolles, Emile Gaboriau invente le polar
Qui a tué le petit vieux des Batignolles ? Et pourquoi ? S'il apparaît
assez vite que le coupable dénoncé par sa victime — en traçant à
l'agonie le nom de son meurtrier dans son propre sang... —, est le bon,
d'autant qu'il avoue à plusieurs reprises, cela suffit au premier venu,
pour sûr, mais pas à l'inspecteur Méchinet. Il sent bien, manière
d'intuition naturelle, que tout cela n'est que comédie et qu'il faudra
tendre quelques pièges pour que la vérité apparaisse. La vérité est bête
et franche : une histoire adultérine, où se mêle aussi un peu d'argent
qui ne vient pas assez vite en héritage... un fait divers porté par la truculence débonnaire au service du roman policier, considéré ici comme
l'expression des mœurs de la société.
Loïc Di Stefano
Emile Gaboriau, Le Petit vieux des Batignolles, Liana Levi, « Piccolo », septembre 2005, 124 pages, 7 €
Répondant aux exigences des
livraisons dans la presse du XIXe siècle, Emile Gaboriau ménage ses
effets et ses fausses pistes, tend dans chacun des douze petits
chapitres de son roman assez de vrais messages et de faux semblants
pour qu'on soit toujours entre deux, à se demander si ce qui semble si
improbable ne serait pas la vérité, et à mettre en doute sur un rien la
vraisemblance la plus claire. Le présumé coupable est repéré tout de
suite, la victime ayant tracé dans son dernier soupir les premières
lettres de son nom avec son propre sang. Et il avoue, réitère, sans
qu'on le menace. L'affaire est bouclée, au revoir madame ! ce qui,
d'ailleurs, ferait bien les affaires du Procureur bien heureux de se
débarrasser de ce dossier à si bon compte. Mais non, trop simple, pour
l'inspecteur et son docteur, qui forme ici l'origine de ce qui sera plus
tard Sherlock Holmes et le Docteur Watson : Méchinet est en effet
secondé par un jeune étudiant en médecin, par lequel toute l'histoire
est racontée, et qui se lance dans l'intrigue par curiosité, voyant sans
rien comprendre son voisin — l'inspecteur — rentré à pas d'heures et en
de si multiples tenues. La surprise des faits qui s'imbriquent et des
découvertes qui s'accumulent nous apparaît d'autant plus franchement que
c'est par l'œil, naïf mais de moins en moins, du jeune homme que tout
est dit.
S'il n'est pas l'inventeur du genre — contrairement à
ce que nous dit la préface de cette édition (1) — Emile Gaboriau a su
incontestablement donner au genre policier ses premières lettres de
noblesse. Et même créer un archétype de personnage débonnaire qui
poursuit l'enquête sans trop avoir l'air de s'y intéresser, qui sait
toujours où il va mais laisse tout le monde perplexe. La liste des
personnages qui doivent à Gaboriau leur caractère propre est vaste, ici
naît sans aucun doute aussi bien Holmes, nous l'avons dit, que Colombo,
dont le faux-air ahuri est le meilleur piège à vérité. Et tout est ici,
dans une langue savoureuse et simple, qui met le quotidien dans un roman
et parvient à en faire toute une histoire.
Loïc Di Stefano
(1) Comme Gaboriau grand lecteur de Poe, Charles Barbara (1817-1863) est avec L'Assassinat du pont-rouge le véritable fondateur du genre, même si son œuvre, plus diverse et moins « populaire », reste encore à découvrir.
Emile Gaboriau, Le Petit vieux des Batignolles, Liana Levi, « Piccolo », septembre 2005, 124 pages, 7 €
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