Rubens et Gauguin, portraits croisés d’artistes

Au moment où deux grandes expositions s’ouvrent à Paris, l’une sur Rubens, l’autre sur Gauguin, lire ou relire des textes oubliés les concernant au premier rang et qui semblent appartenir déjà à l’histoire est un plaisir à ne pas méconnaître. Des pages où chacun se révèle dans sa singularité, l’un brossé en majesté sous le regard d’un compatriote, l’autre plus en retrait mais en observateur exigeant et se présentant comme en creux. Le premier, Rubens, est présenté avec une stature exceptionnelle par un poète qui en admire la puissance. Le second, Gauguin, se livre indirectement à travers des lignes où sa personnalité non moins vigoureuse se détaille comme en filigrane. 

L’un et l’autre, tout en étant à l’opposé en termes de lieu, époque, style, vie, manières, se rejoignent dans une sorte d’absolu de l’existence, quand l’art est le socle des engagements respectifs. Ce qu’écrit Gauguin, Rubens aurait pu le dire : "La peinture est le plus beau de tous les arts ; en lui se résument toutes les sensations." Autant l’un que l’autre, aux regardeurs de leurs tableaux ils donnent à profusion ces sensations que chacun recherche face à une toile de maître.

Chez les deux peintres dominent les couleurs, s’amplifient les mouvements, se dévoile lentement une sensibilité délicate, surgissent des lignes de force qui ne se laissent pas facilement domptées. Tous deux pousseront la vie jusqu’à leurs limites, le diplomate comme le voyageur, l’homme de cour comme le sauvage !

D’après les mots du poète belge Emile Verhaeren, Rubens apparaît comme "un homme d’élégance et de beauté…un homme sain, heureux, fécond", sans haine et sans jalousie et qui écrase l’envie "sous son incessant triomphe". Rubens est "une génération à lui tout seul". L’auteur des poèmes Les Villes tentaculaires parus en 1895, né dans la province d’Anvers, ville comme l’on sait de son héros, salue l’œuvre de l’artiste comme étant une "ode formidable à la joie". Ce qu’il aime chez le grand peintre flamand, c’est la force, la vigueur du propos, l’œuvre de cour, les femmes :     

Que tu peignes les amazones des légendes

Ou les reines ou les saintes des paradis

Toutes ont pris leur part de volupté, jadis,

Dans la balourde et formidable sarabande.

Le style est alerte, entraînant. Verhaeren suit des yeux le pinceau de Rubens et écrit dans sa lumière. Son poème est une autre ode offerte cette fois à ce fastueux conquérant : 

Tu es celui — le tard venu — parmi les maîtres

Qui d’une prompte main, mais d’un fervent regard,

D’abord demande à tous une fleur de leur art

Pour qu’en ton œuvre à toi tout l’art puisse apparaître.

Changement de décor, de manière, de perspective. 

Gauguin, inlassable créateur de beautés, écrit ses pages avec la passion qu’il met à poser ses paysages sur la toile. Il exagère le trait, mais cela ne lui déplait nullement. Il est ce peintre dont il dit qu’il "n’est esclave ni du passé ni du présent, ni de la nature ni de son voisin".

En observant les autres peintres, de Giotto à Rembrandt et à Ingres, il se dépeint, d’une certaine manière. Il juge, critique, observe, les qualificatifs sont durs, l’esprit incisif fuse. Il n’épargne personne, ni "l’ancêtre Pissarro qui fait de l’art malgré lui" ni Bernard qui "partout ramasse ce qu’il peut dans les chapelles". Il nous parle de sa relation avec Van Gogh, de Degas, d’esthétique.

Beaucoup d’idées et de sincérité dans ces Racontars de Rapin, ouvrage écrit en septembre 1902 dans la Maison du Jouir, alors qu’il est aux Marquises. "Peindre ce qu’on rêve est un acte sincère."

Un texte franc, fort de ses contrastes, dense, affectif, fougueux, unique.
De lui à quoi s’attendre d’autre ?

Dominique Vergnon

Emile Verhaeren, Pierre-Paul Rubens, les éditions de Paris-Max Chaleil, 76 p.-, 150x230, octobre 2017, 13 euros.

Paul Gauguin, Ecrits sur l’art, les éditions de Paris-Max Chaleil, 122 p.-, 150x230, octobre 2017, 14 euros.

 

www.museeduluxembourg.fr; jusqu’au 14 janvier 2018

www.grandpalais.fr; jusqu’au 22 janvier 2018

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