Les rédemptions de Théo Crassas

Parmi les changements de plus en plus rapides qui affectent nos relations sociales, ceux qui concernent le statut de la parole et du langage ne sont pas les moindres. L'écrit prend même (via tweeter, etc.) un statut particulier de novlangue appauvrie.

Ces changements induisent des pertes de sens en touchant toutes la société et en ayant des effets sur notre vie psychique (et par conséquent sur ses pathologies). Face à eux Théo Crassas revient à une langue particulière. Il ouvre le champ aux déesses de l'antiquité avec un sens certain de l'hédonisme.
Il y a là Artémis (et même Marie la Vierge) pour "une poésie pure, intégrale, totale" d'une "Réalité supérieure bien qu'invisible". Certes Crassas ne se fait pas trop d'illusions mais sa maladie de l'idéalité a raison de tout en des audaces lyriques qui sont des sortes de totems ou de conques.

Le rapport au langage devient l'antidote à la recrudescence des troubles autistiques ou symboliques. Le poète n'oublie rien des coordonnées langagières solides là où les émotions se succèdent en de grands bonheurs plutôt que de grands vides.
C'est sans doute pour Crassas un besoin compulsif de lutter contre l'angoisse en un engagement passionnel dans la langue. Son retrait en elle n'oblitère en rien le sentiment d'exister. Il s'agit juste d'effacer le réel pour se propulser dans les jours aphrodisiens et vénusiaques là où les femmes se teintent du Henné de Famagouste.

L'auteur construit la plus belle armoire à pharmacie mentale. Ces molécules de la poésie réparent bien des désordres physiologiques. Ou au moins un apaisement temporaire là où il n'existe plus de rapport pathologique au langage.
Crassas sait en effet ce qu'il dit et enchante. Il prouve aussi qu'il n'y a pas de parole sans demande, et de demande sans frustration générée par ce qui reste sans réponse. A sa manière il y répond par un travail long et opiniâtre.

Jean-Paul Gavard-Perret

Théo Crassas, Le Henné de Famagouste, coll. Encres Blanche, éditions Encres Vives, octobre, 2019, 6,10 euros

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