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6 février 1945 : Robert Brasillach est fusillé

Exécuté pour l'exemple au terme d'un procès sommaire et encore sujet à caution aujourd'hui (1), Robert Brasillach (1909 - 1945) est un journaliste politique et écrivain français issu des rangs de l'Action française et tenté par le fascisme dès les années 30. Directeur de Je suis partout, journal collaborationniste, ce qui lui vaut une rupture avec Charles Maurras, il fera l'éloge du IIIe Reich et étale sa haine des Juifs, des Républicains... Il en laissera la direction en 1943 à Pierre-Antoine Cousteau (frère aîné du fameux commandant...), lequel sera gracié et reprendra sa place parmi les journalistes de la presse nationaliste.

Son oeuvre littéraire, d'une grande beauté classique, est aujourd'hui conspuée pour des raisons politiques alors que ses écrits sur le cinéma ont toujours été publiés et lus...

Loïc Di Stefano

(1) Lire notamment le 20 minutes pour la Mort de Philippe Bilger ainsi que l'entretien qu'il nous a accordé. Un procès de six heures à peine pour juger d'un tel personnage...

13 commentaires

Pour la petite note de bas de page : si l'on veut atteindre à l'objectivité dans la présentation de la chose, autant se plaindre qu'il n'aura fallu que 6 heures pour juger ses faits ; à ma connaissance, la justice n'est pas là pour juger un "personnage" : elle met en procès une personne pour ses actes, pas pour sa personnalité. Evitons le pathos inutile et restons-en aux faits, ils parlent déjà suffisamment d'eux-mêmes (6 heures). Merci.

Lisez l'ouvrage de Bilger, 6 heures ce n'est pas un procès, c'est l'épuration. Alors on l'attrape on le fusille illico, d'accord. Mais un procès pour la forme, pour se donner bonne conscience ...

Je suis totalement d'accord, puisque je dis que les faits parlent d'eux-mêmes : 6 heures. Oui, c'est de l'épuration. L'histoire de France est pleine de scènes de ménage peu glorieuses : on a du mal encore aujourd'hui à accepter certains actes nés de la Révolution Française, il y a plus de 200 ans. Alors croire qu'après 70 ans on sera capable de le faire pour la sortie de la Seconde Guerre mondiale, c'est tout de même faire preuve d'un angélisme certain. Je redis donc que la remarque "pour juger d'un tel personnage" est inappropriée et donne dans le pathos inutile. Et malgré tout son talent, et malgré toute l'hypocrisie de l'intelligentsia française à son égard, je ne vais pas non plus verser une larme pour un type qui a fait, comme la chronique le décrit très bien, "l'apologie du IIIe Reich" en étalant "sa haine des Juifs et des Républicains". Il a choisi le mauvais bourrin, il a payé, et très certainement de manière injuste. Dont acte. Le reste n'est que littérature...

Je commence personnellement à "saturer" avec ces notices pleines d’ambiguïtés sur des écrivains -parfois plein de talent et dont l’œuvre peut mériter critiques et éloges - ayant collaboré avec joie avec l'Allemagne nazie. Je vais mettre ça sur le compte d'une sensibilité à fleur de peau mais je pense que le salon littéraire mérite de mener d'autres combats. Pour revenir au "cas" Brasillach, j'invite à lire l'excellent livre d'Emmanuel de Waresquiel, "entre deux rives", qui revient sur son destin. Brasillach, brillant littérateur, critique de cinéma remarquable, a écrit des textes abjects sur les juifs (je renvoie à son article sur la "question singe", paru après l'entrée en vigueur du décret Marchandeau interdisant les insultes antisémites et racistes dans la presse, je renvoie à ces remarques invitant à ne pas oublier les "petits" lors des déportations) mais lors du procès, autre chose a joué. Brasillach, beaucoup de ses biographes le pensent, avait des tendances homosexuelles (est-il passé à l'acte? Cela restera son secret mais il a avoué à une amie avoir aimé un jeune officier allemand). Or, selon Emmanuel de Waresquiel, cela a beaucoup joué lors de son procès où l'avocat général y a fait allusion à demi mot (en 1945, l'homosexualité était encore un délit). Ne pas avoir vécu sa sexualité "normalement" a pu jouer dans sa haine de soi, sa haine des juifs, finalement une représentation de cet "autre" qu'il fuyait comme il se fuyait. Combien d'hommes empêtrés dans leur mal être ont-ils cherché dans l'engagement politique, si extrême soit-il, une compensation, un exutoire? Quoiqu'il en soit Brasillach a payé. Si certains pans méritent d'être redécouvert, en aucun cas il ne mérite réhabilitation.
Mais rêvons. A l'heure du débat sur le mariage pour tous, je me plais à songer à ce critique de cinéma si brillant qui, de nos jours, pourrait se marier avec son bel officier si cette loi passait? Peut-être alors comprendrait-il l'insanité de son antisémitisme frénétique... Rêvons oui et cessons de remuer ce passé qui, comme le dit Glen Carrig, n'est pas prêt de passer.

La Salon de mène aucun combat. Nous donnons simplement une information, une date, dans le cadre d'une éphéméride. Quant aux tendances homosexuelles de cet écrivain, qui expliqueraient son engagement, e trouve cela un peu léger. Sinon, pourquoi Aragon n'a-t-il pas collaboré, par exemple ?

Cher Joseph Vebret,
Je note bien que le salon ne mène aucun combat. Quant à moi, j'en mène un seul: promouvoir la littérature et la culture, comme vous je pense.
Attention cependant aux raccourcis (je le dis en notant que j'ai pu en faire un plus haut) ! en aucun cas, je ne fais de lien quasi automatique entre le choix de la collaboration et des tendances homosexuelles! vous pouvez trouver ça léger mais dans le cas de Brasillach (et j'invite à lire ce qu'en dit Emmanuel de Waresquiel dans "entre deux rives", ouvrage remarquable au demeurant), je pense que c'est éclairant. Par contre, le parallèle avec Aragon est intéressant. s'il n'a pas collaboré, il a par contre choisi d'adhérer au communisme et par là même de soutenir l'autre dictature totalitaire, l'URSS. Je remarque aussi simplement que beaucoup d'écrivains et d'intellectuels, qui avait du mal à assumer leur sexualité ont choisi un engagement politique "extrême" (on pourrait citer Montherlant, Marcel Jouhandeau). Je pense que dans certains cas, la négation de son homosexualité, son "auto-répression" est une clef pour comprendre le mécanisme psychologique ayant pu mener au choix de la collaboration. Je n'ai pas pour autant une approche monocausale, plein d'autres facteurs sont entrés en ligne de compte.

Vu sous cet angle, nous sommes d'accord, cher Sylvain. Effectivement, l'ouvrage d'Emmanuel de Waresquiel est remarquable. Je reste persuadé que la vie de l'écrivain éclaire son oeuvre et vice-versa : rien n'est écrit par hasard, consciemment ou inconsciemment. Oui, Brasillach fut une ordure. Mais il a aussi été fusillé pour l'exemple, malgré Mauriac et quarante autres écrivains qui ne peuvent pas être taxés de collaborationnisme et qui demandèrent sa grâce à De Gaulle. Il en fallait au moins un, ce fut lui. Et si Céline avait été en France, il aurait subi le même sort. Le problème se pose lorsqu'un très grand écrivain (ou artiste) dépasse la ligne jaune : le talent n'excuse pas tout, certes, mais faut-il pour autant se refuser de le lire et d'en parler ? Je lis actuellement Jouhandeau, son journal : quel talent, quelle belle écriture... Et pourtant il fut l'un des sept de Weimar... Que faire ? Que penser ?

Il a été effectivement fusillé pour l'exemple. Il faut cependant aussi considérer le contexte : nous sommes en février 45, la guerre a été perdue et l'offensive des Ardennes vient juste de se terminer après avoir agité le spectre du retour de l'hydre nazie. Je me suis souvent demandé ce que j'aurais fait à la place des jurés, de De Gaulle (dans son cas, a pesé une photo de Brasillach en uniforme allemand)... Et je ne le saurais jamais car je suis fils de mon époque et de ses valeurs, je n'ai pas vécu l'occupation, je n'ai pas souffert dans ma chair (même si on m'a transmis une mémoire familiale plutôt hostile aux nazis)... Je remarque que Papon et Bousquet s'en sont tirés alors qu'ils avaient du sang sur les mains et Brasillach a été fusillé. En même temps, être un intellectuel de renom n'implique-t-il pas aussi d'avoir une responsabilité et de l'assumer?
Ensuite, nous abordons un autre sujet. Peut-on lire Brasillach et en a-t-on le droit? Bien sûr selon moi. Son "histoire du cinéma" est remarquable, ses travaux sur la littérature latine aussi: or ils ne sont plus édités et donc comment le lire? Pour son histoire du cinéma, je lance un appel aux cinéphiles, aux cahiers du cinéma (pourquoi pas) pour qu'on réédite cet ouvrage (après tout les critiques de Rebatet ont été réédités il y a peu). Ça ne changera à mon avis sur l'homme et ses idées, bien au contraire.

L'éternel débat sur quoi faire des intellectuels et artistes quand ceux-ci ont de mauvaises idées et fréquentations. On ne pose pas la question quand un homme a collaboré et n'avait aucun talent : il était collabo. Je suis de l'avis de Sylvain : non seulement avoir un cerveau et du talent n'excuse pas, mais en plus il engage une responsabilité.
Brasillach a servi d'exemple ? Oui. Tan mieux ? Tant pis ? Je ne vois pas l'intérêt de poser une telle question au regard du contexte historique. Quelqu'un a-t-il envie de réhabiliter les suiveurs de l'époque, qui n'avaient aucun talent et qui ont choisi puis suivi le même chemin ? Non. Alors pourquoi le faire pour un artiste et/ou un intellectuel ?
Ca me rappelle les débats sur Polanski il y a quelques années où, sous prétexte qu'il était artiste, il fallait faire preuve de compréhension dans sa situation, alors que personne n'aurait bougé le petit doigt s'il s'était agi d'une personne n'ayant aucun talent artistique.
Alors on se plaint d'une justice rendue de manière injuste et expéditive, pour l'exemple, et qui va à l'encontre de l'idée de justice, sur le papier et dans les faits, et on ne trouve rien de mieux que d'exprimer une indignation à géométrie variable. En procédant de la sorte, on montre juste qu'on n'aurait pas agi différemment puisqu'on développe les mêmes travers.
La justice n'est pas parfaite, car elle vient des hommes. Et il y a une chose qu'il ne faudrait peut-être pas oublier non plus, et qu'on apprend en fac de droit, comme quand on lit : un système judiciaire n'est pas là pour rendre la justice, il est là pour jouer le rôle de pacificateur social. L'idée et la pratique de la justice, si elles ne sont pas antinomiques, restent pour autant à bonne distance l'une de l'autre. Dans le cas de Brasillach, et dans le contexte historique de l'époque, aussi inique et cynique que cela puisse paraître, et aussi affreuse que cette parodie de justice a pu l'être, la justice a joué son rôle à plein.
Mais de là à vouloir faire de Brasillach une victime ou vouloir le réhabiliter sous prétexte que c'est un artiste, c'est entrer dans le jeu de refuser un pan de notre histoire, comme on le fait ces derniers temps sur la (dé-)colonisation, par exemple.
Quant à simplement vouloir relire Brasillach, il en va de la responsabilité, du choix, de l'envie et du libre-arbitre de chacun. Mais arrêtons s'il vous plaît le pathos qui donne à penser qu'on voudrait donner des leçons de morale sur la triste fin d'un écrivain dont la qualité de l’œuvre ne rachètera de toute façon jamais ses actes et ses engagements.

Effectivement, être un intellectuel intelligent (et cinéphile, j'y suis sensible) n'excuse en rien les actes de Robert Brasillach. Et Glen a raison: on ne se pose aucune question au sujet de Joseph Darnand, Paul Touvier, Philippe Henriot & co. Être un artiste n'implique aucune supériorité morale selon moi. D'ailleurs, Brasillach a assumé et s'est livré à la justice (en partie pour faire libérer sa mère). Reconnaissons-lui ce mérite d'avoir assumé ces choix. Fin de partie.