Un Été avec Victor Hugo & Hugo orateur

Hugo, Victor & Orator

 

Une petite anthologie de textes politiques de Hugo et un ouvrage composé d’une suite de vignettes sur Hugo prouvent que Gide avait bien raison. Oui, aujourd’hui encore, Victor Hugo est l’as !

 

A priori, trois raisons d’ouvrir ce livre avec circonspection. 1. C’est un livre France Inter, autrement dit un livre cautionné par cette radio qui parfois diffuse des informations sur un ton sentencieux et agressif. 2. Cela s’appelle Un Été avec Victor Hugo, comme si Hugo, Montaigne, Proust ou Baudelaire (puisqu’il s’agit d’une série) devaient être interdits de séjour en hiver et réduits au statut d’auteurs de bestsellers de plage. 3. La chose est co-écrite, en tout cas co-signée par Laura El Makki et Guillaume Gallienne ; il n’est pas sûr que la voix ironiquement et mécaniquement traînante de celui-ci, idéale dans certains registres, convienne à l’enthousiasme en-avantiste hugolien.


De fait, les quarante brefs chapitres qui se succèdent dans cet ouvrage ne font que ressortir des clichés : « Chateaubriand ou rien », la Bataille d’Hernani, Hugo et Léopoldine, Hugo et les femmes, Hugo et Napoléon III, Hugo et les tables tournantes, les Misérables, et bien d’autres encore. Bref, quiconque a lu un peu Hugo n’éprouve pas la moindre surprise en voyant défiler ces vignettes. Et pourtant… Et pourtant, on se surprend à lire ces deux cent vingt pages d’une traite, avec plaisir et avec intérêt.


Pourquoi ? D’abord, parce que, comme l’a affirmé un critique très injustement oublié, il ne faut pas dire du mal des clichés : il faut beaucoup de temps pour construire et imposer un cliché et, qu’on le veuille ou non, tout cliché contient une grande part de vérité. Et parce que, en l’occurrence, si aucun chapitre n’est en soi surprenant, c’est la succession même des clichés qui est étourdissante. D’habitude, un cliché entend résumer à lui tout seul une chose ou une personne. Mais, pour résumer Hugo, il faut quarante clichés, car Hugo dessinateur côtoie Hugo chaud lapin qui côtoie Hugo adversaire farouche de la peine de mort qui côtoie Hugo l’Européen qui côtoie Hugo médiéviste qui… — étant entendu que cette accumulation ne présenterait pas un grand intérêt si elle n’était sous-tendue par une grande unité.


Cette unité, c’est un étonnant sens de l’histoire. Prise individuellement, la fascination de Hugo pour les tables tournantes a quelque chose de profondément ridicule, même si l’on tient compte du fait que c’est celle d’un père désespéré refusant l’idée d’une disparition totale et sans appel de sa fille. Mais ce sentiment qu’il doit exister quelque chose après devient beaucoup moins dérisoire quand on voit le nombre de choses annoncées par Hugo et qui se sont réalisées alors qu’elles ont dû paraître loufoques au moment où il les annonçait. Suppression du travail des enfants ; respect des droits de la femme ; chute de Napoléon III ; abolition de la peine de mort ; projet d’une Europe unie. Sans doute reste-t-il encore beaucoup à faire, en particulier dans ce dernier domaine, mais, Brexit ou pas Brexit, comment ne pas saluer la pertinence de la prophétie livrée par Hugo au Congrès international de la Paix en 1849 :

 

« Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. […] Un jour viendra où il n’y aura pas d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. »

 

Où l’on voit que l’optimisme naïf du poète ne l’empêchait pas de prévoir le développement d’une guerre économique.


Inutile alors de ricaner devant les oxymores de Hugo, d’ailleurs bien plus difficiles à parodier qu’on pourrait le croire. Ce ne sont pas tant des figures de style, pas tant des manifestations anti-aristotéliciennes que des perspectives d’avenir — des professions de foi : ce qui est aujourd’hui pourrait ne plus être demain, et inversement. Hugo lui-même, avec le parcours politique que l’on sait, est l’illustration vivante du caractère oxymorique du monde — et accessoirement de la littérature. (Balzac, qui s’entendait fort bien avec Hugo et dont celui-ci prononça l’oraison funèbre, expliquait sans doute un peu trop l’Histoire à coups de sociétés secrètes, mais lui aussi pensait que le visible de demain existe dès aujourd’hui sous une forme invisible.)


Quelques lignes de la préface d’Actes et paroles — Avant l’exil résument assez bien la chose :

 

« …il me prit sur ses genoux, ouvrit ce Tacite qu’il avait, un in-octavo relié en parchemin, édition Herhan, et me lut cette ligne : Urbem Romam a principio reges habuere.

Il s’interrompit et  murmura à demi-voix :

                  — Si Rome eût gardé ses rois, elle n’eût pas été Rome. »

 

On trouvera l’intégralité de cette préface dans le recueil        récemment publié dans la collection Folioplus sous le titre Hugo orateur. Encore un volume qui ne contient a priori aucune révélation, puisque c’est une anthologie de discours pour la plupart très connus [1]. Mais ils ont tous le mérite de nous rappeler qu’il y eut une époque où l’expression « éloquence politique » n’était pas un oxymore. Quand nous entendons chaque jour les responsables de l’État et les dirigeants de partis massacrer à qui mieux mieux la langue française, en prenant pour des créations poétiques de vils trucs de bateleur, relire Hugo permet de retrouver un peu d’optimisme — ou de sombrer dans un désespoir absolu, si l’on pense qu’on ne pourra jamais réécrire une aussi belle Histoire. Oui, Hugo était grandiloquent, mais sa grandiloquence était à la mesure des causes qu’il défendait :

 

« Dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes : ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux plateaux du Code… Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est un état violent, il faut qu’il cesse. »

 

Tout cela, on en conviendra, sonne mieux que certains propos échangés récemment Place de la République et n’est pas dépourvu de sens, aujourd’hui encore, dans certaines régions du globe.


La fille d’Albert Camus, à qui l’on demandait récemment si les textes « libertaires » de son père conservaient quelque actualité, a répondu que son père était sans doute encore un peu en avance sur notre temps. On pourrait en dire autant de Hugo.

 

FAL

 

[1] L’essentiel des textes de ce recueil est emprunté à Actes et paroles, dont Bouquins (Robert Laffont) propose une édition intégrale. Mais celle-ci s’adresse aux lecteurs courageux, puisqu’elle compte plusieurs centaines de pages.

 

 

Laura El Makki & Guillaume Gallienne

Un Été avec Victor Hugo

Équateurs - France Inter, mai 2016

13€

 

Victor Hugo

Hugo orateur

Dossier et notes réalisés par Myriam Roman

Gallimard, Folioplus Classiques, oct. 2015

5,90€     

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