Éric Dussert, Une forêt cachée : N’oubliez pas le guide…

C’est à une bien agréable promenade que nous convie Éric Dussert. Certes, la forêt que nous propose l’auteur n’est pas banale. Avec M. Dussert, nous n’empruntons pas les grands chemins d’une littérature déjà fort bien balisée par une critique et une postérité unanime, mais plutôt les chemins oubliés, les pentes escarpées, les parties inconnues de ce vaste continent. M. Dussert nous invite à découvrir « sa » forêt littéraire, non pas comme un guide, mais plutôt comme un compagnon, musardant ça et là, âpre de découvertes, cheminant à travers les siècles, non pas en scientifique, mais en promeneur, avide de partager ses trésors. Cette expérience n’en reste que plus intéressante.

 

Disons-le d’emblée, l’homme est un multirécidiviste. Cela fait près de dix ans qu’il nous tarabuste le cervelet avec des auteurs dont le nom résiste aux plus coriaces biographes, dont le souvenir même à disparu des archives, et rebute même au plus persévérant des sorbonnards. Depuis de nombreuses années, M. Éric Dussert nous régale de ses découvertes pour le moins originales, qu’il expose avec verve et brio dans Le Matricule des anges, et que les éditions La Table ronde ont eu la bonne idée de regrouper dans un fort beau volume. Dans la besace de notre braconnier, des « inconnus célèbres », des « grands oubliés » et autres « négligés » tombés dans un oubli presque total. Dans ce livre, peu d’académiciens, pas beaucoup de légions d’honneur, et encore moins de primés en littérature. Mais plutôt des vies baroques, souvent originales, parfois bisées, des « originaux un peu fous, des fantaisistes, des rentiers, des pauvres, des suicidés, des ronds-de-cuir, des savants et des incultes », comme le souligne Claire Paulhan dans sa lumineuse préface. La littérature, c’est aussi la vie. Et cette vie est faite de grandeurs, mais aussi d’injustices.

 

Qui peut aujourd’hui gloser sur Philarète Chasles, faire l’éloge de la prose des romans de Gustave Vapereau, ou encore posséder quelques ouvrages d’Étienne Eggis ? Quasiment personne, puisque leurs exégètes respectifs ne se comptent que sur les doigts d’une main. Pourtant, ces auteurs ont représenté quelque chose à une époque. Ils ont été admirés, encensés, célébrés en leurs temps. Mais depuis, l’ingrat manteau de l’ignorance et de l’oubli a recouvert leur œuvre. Pourtant, certains de ces écrivains ne sont pas complètement inconnus des amateurs éclairés. Que l’on me permette d’évoquer ici Marc Stéphane, dont ces romans, La cité des fous, et Ceux du trimard, préfigurent — vingt ans avant le maître — le style gouailleur et populeux de Louis-Ferdinand Céline. On peut citer aussi Raymond de Rienzi, dont le roman, Les Formiciens a jeté les bases de la littérature de science-fiction et préfigure les merveilles de l’après-guerre. D’autres nom sont familiers comme Armel Guerne, bien connu des lecteurs de Moby Dick, ainsi qu’Albert Paraz, Pascal Pia, Gabrielle Wittkop, pour ne citer que les principaux.


C’est pourquoi le travail de messire Dussert fait œuvre de salubrité publique en nous proposant cette « autre » histoire de la littérature. Dans son livre, notre homme se fait archéologue, et exhume des trésors oubliés, s’enthousiasme pour un poète du XIXe siècle, s’extasie devant un roman réaliste du XXe siècle… Loin de garder ces trésors pour lui tout seul, M. Éric Dussert veut susciter des vocations. La lecture de ces admirables petites « vie minuscules » reste un moment de pur délice. Un moment de gourmandise littéraire. Le moindre des mérites de ce livre est de nous inviter à sortir des sentiers balisés de la littérature. De se précipiter dans une librairie où dans une bibliothèque pour réparer ces injustices en découvrant des auteurs qui ont encore des choses à nous dire. De redécouvrir des pans inconnus de notre patrimoine littéraire. Certes, pas les plus connus, mais pas les moins talentueux.

 

David Alliot

 

Éric Dussert, Une forêt cachée, 156 portraits d’écrivains oubliés, La Table ronde, collection « La petite vermillon », mars 2013, 608 pages, 20,60€

 

1 commentaire

Une promenade extraordinaire dans cette littérature qui se moque des objectifs commerciaux ! et quelle magnifique assemblée !!!