Éric-Emmanuel Schmitt, "Si on recommençait"

Erase and rewind

 

Plus vite que son ombre ? Toutes les semaines ou presque sort en librairie un nouvel ouvrage d’Éric-Emmanuel Schmitt. Le dernier est le texte de sa pièce Si on recommençait, mise en abyme du théâtre comme machine à remonter le temps.

 

Mais si ! même si n’êtes pas un passionné de science-fiction, vous savez ce que les amateurs de esseffe désignent sous le nom de duplication. Comme tout le monde, vous avez vu la trilogie Retour vers le futur, et en particulier l’éblouissant finale du second épisode, qui, pour ainsi dire, venait s’emboîter dans le premier. Il y a duplication quand, à la suite d’un time warp, autrement dit d’une distorsion temporelle, le plus souvent très intempestive, un personnage se retrouve face à une autre version de lui-même, généralement plus jeune.

 

C’est sur ce principe qu’Eric-Emmanuel Schmitt a construit sa pièce Si on recommençait, dont la première a eu lieu il y a quelques jours à la Comédie des Champs-Elysées, avec Michel Sardou dans le rôle principal, et dont le texte vient d’être publié il y a a quelques jours aussi — marketing rime avec timing — dans le Livre de Poche.

 

Assommé par une horloge qui a eu la mauvaise idée de lui tomber sur la tête, Alexandre a la surprise, lorsqu’il se réveille un peu plus tard (ou plus exactement beaucoup plus tôt  !), de se retrouver face à un autre lui-même quarante ans en arrière, et un jour décisif de son existence  : alors même qu’il s’apprête à épouser la femme qu’il aime (ou qu’il croit aimer), se présente une femme qu’il n’aime plus, mais qui assure être enceinte de ses œuvres. S’ajoute la perspective — qui met en jeu indirectement une troisième femme — de devoir partir aux Etats-Unis pour poursuivre à Harvard de brillantes études de médecine. Mais Alexandre n’est pas comme le Marty McFly de Retour vers le futur II. Celui-ci passait son temps à jouer à cache-cache avec son autre lui-même, car il n’était pas question pour lui de bouleverser l’ordre des choses (mais, tout au contraire, de le rétablir). Alexandre le Vieux, lui, ne craint pas de s’adresser directement à Alexandre le Jeune et ne tarde pas à le persuader que lui et lui ne font qu’un.

 

Toutefois, la situation n’est pas plus claire pour autant. Alexandre Sr., qui sait ce que son passé a été, autrement dit ce que l’avenir d’Alexandre Jr. sera, a-t-il le droit de révéler à celui-ci quoi que ce soit, de l’influencer, de modifier d’une manière ou d’une autre le cours des événements  ? N’est-il pas nécessaire, sinon fatal, que Junior refasse les mêmes erreurs que Senior  ? 

 

Deux scènes au moins de cette pièce feront assurément leur effet. La première est une série de quiproquos due au fait que Senior est une espèce de fantôme que seul Junior perçoit. Aussi, lorsque celui-ci peste à haute voix contre certaines remarques de cet «  aîné  » en présence d’un tiers, ce tiers pense que toutes les critiques et toutes les insultes lui sont destinées. La seconde scène est une espèce de sous-titrage verbal d’autant plus drôle et d’autant plus irrésistible qu’il s’appuie sur une profonde vérité. Fort de son expérience et de sa vision rétrospective de sa propre histoire et de celle des autres, le vieil Alexandre sait que Dieu a donné le langage aux hommes bien moins pour leur permettre d’exprimer leur pensée que pour la déguiser et il s’amuse donc à traduire en clair, pour le bénéfice du spectateur, un dialogue très hypocrite entre lui-même jeune et un autre personnage  : oui, au commencement était l’antiphrase.

 

Faut-il préciser qu’après de telles acrobaties rhétoriques, le dénouement est forcément un peu décevant  et que, nonobstant les ambitions de l’auteur, qui n’omet jamais de préciser qu’il a eu une formation de philosophe avant de devenir écrivain et dramaturge, ce Si on recommençait ne dépasse pas vraiment le cadre du théâtre de boulevard  ? Les questions qui sont posées là, et qui sont évidemment celles de la liberté et du destin, sont loin d’être négligeables, mais, sans doute parce que le but est d’abord de faire rire, elles sont posées avec beaucoup de légèreté, pour ne pas dire de façon très superficielle (l’avortement est présenté comme la simple formalité qui permet de se débarrasser d’une grossesse non désirée), et donc sans émotion véritable. Cicéron, en une seule page de son De Divinatione, en disait dix fois plus sur le vertige de la condition humaine. Et ceux à qui une telle référence paraîtrait par trop poussiéreuse pourront toujours se tourner vers certaines comédies cinématographiques américaines récentes sur le même thème, et qui pourraient bien avoir inspiré — probablement à son insu — Eric-Emmanuel Schmitt  : Trente ans sinon rien, avec Jennifer Garner et Mark Ruffalo, ou Hanté par ses ex, avec Jennifer Garner (encore  !) et Matthew McConaughey, mettent en scène des personnages qui sonnent nettement plus juste que les pantins de cette farce agréable, mais finalement assez vaine. Méfiez-vous des duplications.

 

FAL

 

Éric-Emmanuel SchmittSi on recommençait, Inédit, Le Livre de Poche, Septembre 2014, 6,10€ 


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