Cette terre promise, l'inédit qui fait plaisir

A cette époque, les réfugiés venaient d'Europe.

1944. Le narrateur qui a fui l'Europe attend un permis de séjour à Ellis Island pour entrer aux Etats-Unis sous l'identité d'un homme mort, Ludwig Sommer. Comme pour tant d'autres exilés, l'attente est longue et les chances de succès assez maigres. Un bienfaiteur lui envoie fort opportunément des avocats qui négocient son entrée provisoire sur le territoire. Sommer peut enfin marcher dans une ville en paix. Balbutiant l'anglais, ahuri par les usages locaux, il trouve cette ville bien étrange : l'existence ici est frivole ou occupée par le besoin de travailler. Il comprend assez vite que les réfugiés - le pire étant les Allemands comme lui (les alien ennemies) - vivent en marge de la population, rongés par les souvenirs de la guerre ou le désir de vengeance.

Ce texte inachevé est une surprise. Une bonne surprise.

Pourtant ce n'était pas gagné : voici un roman d'un auteur dont A l'Ouest rien de nouveau a éclipsé le reste de son oeuvre pour le grand public ; un texte tronqué car l'auteur est décédé en cours d'écriture. Or, ce livre posthume est porteur de promesses, comme son titre ; et le lecteur y trouve véritablement son compte.

"- Quel pays ! me dis-je en sortant dans la rue. Quarante deux sortes de glaces, la guerre et pas un soldat en vue."

Bourré de personnages très humains et de situations cocasses, on y trouve un auteur totalement différent de son oeuvre majeure : un humour doux-amer, des dialogues entre amis autour d'une bonne bouteille de vodka, une écriture très moderne et cinématographique, des femmes qui font rêver, une humanité désabusée mais prête à chercher le salut dans l'amour et la camaraderie.

Le récit a des résonances tout à fait actuelles quand il décrit les cohortes entassées devant New York :

"Lamentables bateaux fantômes modernes, fuyant les sous-marins et la dureté des coeurs, cargaisons de morts vivants et d'âmes damnées dont le seul crime était d'être des hommes et des femmes et de vouloir vivre."

Le paradoxe est que New York, ville sans ruines où les réfugiés ne trouvent nulle frontière ni soldats, ne peut leur donner véritablement cette paix ou le soulagement qu'ils espéraient tant : les noms de leurs compagnons décédés en chemin et leurs familles laissées en Europe sont des motifs de remords. Leurs fantômes hantent les nuits des survivants. Remarque pose la question : le courage n'est-il pas plutôt du côté de ceux qui ont accepté leur mort en silence ?

Fidèle à sa vision humaniste et acerbe à l'égard des Nazis et de leurs complices, Remarque donne aussi sa vision d'une Europe détraquée :

" La haine de l'étranger est le signe le plus sûr de la barbarie."

Décrivant par le menu les péripéties de la communauté et les activités rocambolesques de Sommer auprès de marchands d'art, ce roman n'est pas achevé et laisse au lecteur le choix de la fin. C'est peut-être cela la meilleure conclusion que Remarque pouvait donner à ce texte fleuve et salutaire.

Thomas Sandorf

Erich Maria Remarque, Cette terre promise, traduit de l’allemand et postfacé par Bernard Lortholary, Stock/La Cosmopolite, 18 janvier 2017, 486 pages, 23€ (ou en Kindle pour 15,99€)

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