Ernest Pignon-Ernest : De traits en empreintes, la ville murmure…

Par une brûlante matinée aoûtienne nous glissâmes sur l’asphalte surchauffé d’une autoroute saturée pour déboucher sur la promenade des Anglais. Délaissant quelques temps la mer sur notre droite nous suivîmes la trouée verte et arrivâmes au MAMAC où se tient jusqu’au 8 janvier 2017 la rétrospective Ernest Pignon-Ernest. Pionnier de l’art urbain, ce niçois inventa une autre manière d’investir l’espace commun en l’embellissant de ses dessins, voire en y portant le fer rouge de la contestation, de l’outrance face à cet ordre policier ou économique qui broie les petites gens dans l’indifférence générale.
Plasticien militant, Ernest Pignon-Ernest ? Sans aucun doute…

Dans ce drôle de catalogue (une boîte) qui renferme de très belles reproductions sur cartons (j’en vois déjà certains les mettre sous cadre) toutes les stations de l’exposition sont reprises. De ses premiers collages sur la plage de galets de Nice (1974) pour dénoncer l’immonde jumelage de la ville de Jean Médecin avec Le Cap, dans une Afrique du sud de l’apartheid, aux cabines téléphoniques de Lyon (1997-99) dans lesquelles dorment les SDF puisque le gouvernement s’en désintéresse totalement, sans oublier Durban (2002) et l’infamante manière dont les malades du sida sont oubliés ou encore Ramallah (2009) et son hommage à Mahmoud Darwich puis Naples (2015) pour les 40 ans de la mort de Pasolini… Parcours décalé d’un artiste engagé.

Mais il n’y a pas que cet aspect politique et social dans l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest, c’est avant tout un extraordinaire dessinateur, il y a dans sa main toute la grâce d’Ingres, la majesté de Vinci ou Michel-Ange. Ses portraits sont d’authentiques acteurs qui se meuvent sur le papier, ne demeurent figés que l’instant de notre contemplation, et s’en retournent à leurs affaires sitôt que nous avons tourné les yeux.
Mouvement, fluidité des gestes, précision du trait, jeux des ombres et des perspectives, les dessins d’Ernest Pignon-Ernest vous parlent aussi, preuve que la poésie est aussi peinture quand la spiritualité rejoint la matérialité du support. Transport d’émotions et invitation à la réflexion pour le regardeur cloué sur place, stupéfait de tant de grâce et de beauté sur simplement… du papier.

 

Et l’amour dans tout ça ?
Il n’est pas oublié, Ernest Pignon-Ernest travaille depuis le début des années 2000 sur ses séries d’Extases, portraits en pied de plus de deux mètres, de femmes habitées, quelque peu dénudées, prises dans l’élan de leur passion, corps traversés par l’onde de choc, visages et mains crispés dans la révélation physique… et le plus souvent montrés dans des églises (à l’abbatiale Saint-Pons, à Nice, jusqu’au 2 octobre 2016), comme quoi…

En sortant de l’exposition, nos pas nous conduisirent vers le vieux Nice, marché aux fleurs, cours Saleya, nos yeux encore baignés de l’aura d’Ernest Pignon-Ernest nous offrent quelques découvertes, qui dans une porte, une ogive, l’enclave d’un pan de mur ombragé, un reflet ; nous baignons dans une sorte de flânerie que Walter Benjamin affectionnait pour se laisser atteindre, toucher, porter par la poésie urbaine qui, quoi que l’on puisse en penser, existe bel et bien dans le détail d’une beauté cachée.
À nous de savoir la débusquer.

 

François Xavier

 

Marie-José Mondzain & Samantha Longhi, Ernest Pignon-Ernest – De traits en empreintes, boîte d’artiste 240 x 305, contenant 30 reproductions d’œuvres, 15 reproductions format carte postale, 15 fac-similés, tracts, citations et documents d’archives, 1 cahier/livret de textes de 48 pages, Gallimard, juin 2016, 32,00 euros

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