« L’Envie » de Sophie Fontanel : contre la tyrannie de la séduction et des magazines féminins

La parution de L’Envie de Sophie Fontanel a suscité une guerre des commentaires. La chroniqueuse de Elle confesse qu’elle ne veut plus faire l’amour, pour un temps… indéterminé. Ce CDD, voire peut-être ce CDI du no more baise a jeté l’émoi dans l’opinion. Les pros de l’abstinence sexuelle voient en elle leur égérie et applaudissent, d’autres compatissent en lui proposant l’adresse de leur psy, sans oublier les machos incurables outragés par ce renoncement et ce mépris de leur virilité.


L’auteure dit, de belle façon, en avoir marre de la dictature de la séduction et de celle des magazines féminins qui laisse à penser qu’en chaque femme sommeille une cochonne qui rêve, sous ses airs de féministe convaincue, de se faire prendre dans tous les sens et par tous les orifices. Marre de se coucher pour vivre des coucheries épouvantablement ennuyeuses. « Je ne pouvais plus supporter qu’on me prenne et qu’on me secoue », confesse-t-elle. Peut-être là, a-t-on envie de lui dire de mieux choisir ses amants, parce que non, effectivement, la femme, même pulpeuse, n’est pas une bouteille d’Orangina.


Que Sophie Fontanel fasse l’amour ou pas, à vrai dire on s’en fiche complètement, tout comme on pouvait bien se ficher que Catherine Millet s’envoie en l’air à la chaîne. Brassens le disait bien avant elle : « 95 % des femmes s’emmerdent en baisant. » Faut-il voir dans L’Envie un sujet vendeur, ou bien une thérapie, ou encore une compensation du renoncement aux choses du sexe par le désir d’être entendue et lue, donc exposée à l’autre ? L’écriture étant déjà un acte érotique. L’auteure aurait pu choisir la fiction si elle avait envie d’explorer ce sujet : faire l’amour ou pas. C’est à mon avis un excellent sujet de roman.   Cela aurait pu être un beau sujet d’essai. Mais la nécessité de se mettre en scène m’échappe.


Il est vrai que feuilleter la presse généraliste et féminine de 14 à 60 ans est édifiant. (Notre Temps est encore le seul titre à proposer la tendresse comme moteur du désir, parce que la mécanique de ses lecteurs flanche parfois, les années ont enseigné la subtilité et les corps fanés implorent l’indulgence.) À lire ces magazines destinés aux femelles de tout poil (ou plutôt sans poil puisqu’il est de bon ton de tenir son pubis glabre), il faut dès l’adolescence, avant même d’avoir eu une idée de ce qu’est le désir amoureux, apprendre à être salope et garce, accepter la sodomie et la pluralité des partenaires, sous peine d’être ringarde et condamnée à la solitude éternelle. Voilà de quoi sont faits les magazines pour les filles.


Sophie Fontanel travaillant chez Elle, pense peut-être que ce qui se publie dans les journaux est crédible, pris pour argent comptant, suivi à la lettre. La teneur de ses propos est présentée comme un pavé dans la marre, et même un tabou brisé. Mais quel tabou ? Dans quel monde vit Sophie Fontanel pour croire que toutes les femmes en France s’envoient en l’air de façon épanouissante trois fois par semaine après avoir bossé toute la journée, galéré dans les transports, fait les courses, la lessive, et s’être occupées des enfants ? Ces femmes ressentent-elles encore le désir de faire l’amour ? De quoi ont-elles envie, puisqu’il s’agit bien d’envie ? Et ces femmes célibataires, divorcées, veuves ? Ont-elles seulement la possibilité de choisir l’abstinence ou celle-ci s’impose-t-elle à elles ? Et les très esseulées, les timides, les grosses, les laides ? Et c’est quoi faire l’amour ? S’agit-il de pénétration, de corps à corps et d’orgasmes ? Mettons de côté les termes faire l’amour et  baiser. C’est quoi l’envie ? Le désir ? L’érotisme ? Un regard ? Une caresse ? Une bienveillance ?  Une douceur ?  Une éperdue quête d’absolu ? Mais tout ceci, ne peut-on soi-même le susciter ? En écrire la partition ? L’orchestrer ? Ou doit-on exclusivement l’attendre de l’autre ?


De quoi se plaint Sophie Fontanel sinon de l’injonction qui lui semble faite de s’allonger et d’ouvrir les cuisses ? Les hommes semblent remisés à un triste rôle… de simples queutards, bien primaires. Faire l’amour n’a jamais été une simple gesticulation génitale qui n’est rien d’autre alors qu’une fonction instinctive de reproduction. Je suis certaine que nombre d’hommes frustrés de tendresse rêvent souvent d’être effleurés, envisagés, caressés, embrassés, rien que pour le plaisir du désir du partage de la tiédeur des peaux, de leur odeur, de la promesse de l’étreinte à venir, plus tard… même si c’est demain. Ce rêve qui persiste jusqu’à la mort imminente, le mourant s’apaise sous la caresse d’une main, il faut toucher, effleurer, au moins ça… c’est déjà faire l’amour ça.


Le renoncement au sexe le plus beau que je connaisse est celui d’Aristophane qui encourageait les femmes à faire la grève de l’amour physique jusqu’à ce que les hommes cessent de faire la guerre. Un acte d’amour en somme.


Anne Bert


Sophie Fontanel, L’Envie, Robert Laffont, août 2011, 162 p., 17,25 €


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