"Beat Hotel" - Allen Ginsberg, William Burroughs et Gregory Corso à Paris

 

Il n’y a pas de dérive parisienne, motivée par la recherche des points alchimiques de la ville,  qui ne mène, un jour ou l’autre, au Beat Hotel. N’importe quel piéton possédant quelques rudiments de contre-culture connaît le chemin qui va au 9 rue Gît-le-Cœur. S’il est inoxydablement onirique, il commencera son parcours rue de la Bûcherie, où se maintient, depuis 1951, la librairie Shakespeare & Co, cette « utopie socialiste se faisant passer pour une librairie » et que voulut George Whitman décédé le 14 décembre 2011, à l’âge de 98 ans. L’utopie serait-elle un moteur de longévité ? 


Se souvenant que cet abri pour poètes accueillit, au début des années 1950, William Burroughs, Allen Ginsberg et Gregory Corso, le flâneur ira rejoindre la place Saint-Michel, descendra les sept marches de la rue de l’Hirondelle et gagnera la rue Gît-le-Cœur. Nez au vent devant la pimpante façade du Relais-Hôtel du Vieux Paris, il lui faudra fournir de grands efforts pour s’imaginer ce qu’était le bâtiment au temps qu’il était gouverné par Monsieur et Madame Rachou, deux amateurs d’artistes derrière des airs qui n’en témoignaient rien. Là, Chester Himes écrivit La Reine des pommes en 1957. 


Dans cet hôtel de classe 13 (la pire cote du marché), quarante-deux chambres dépourvues du moindre confort virent défiler, entre 1958 et 1963, les écrivains américains de la Beat Generation (à l’exception de Jack Kerouac) venus chercher à Paris l’air de la liberté. Au Beat Hotel furent expérimentées les diverses variantes du cut-up. Brion Gysin et Ian Sommerville y conçurent la Dreamachine, un cylindre rotatif susceptible, en le regardant, de présenter toutes les œuvres enfermées dans le musée du Louvre. C’est dans l’une de ses chambres que William Burroughs mit au point Le Festin nu. Le Beat Hotel était un lieu fortement magnétique pour les inventeurs de formes libres. On y méditait (tout en la pratiquant) sur les effets créatifs de la drogue. Henri Michaux (auteur de Connaissance par les gouffres et de Misérable miracle) y prenait rendez-vous. De même que Jean-Jacques Lebel à qui l’on doit le premier happening. L’hôtel fut vidé de ses locataires au printemps 1963. Brion Gysin y demeura jusqu’au bout alors que le nouveau propriétaire faisait détruire les murs autour de sa chambre.

 

L’auteur de ce magnifique récit est Barry Miles. Il a réalisé de nombreuses biographies (Ginsberg, Burroughs, Kerouac, Zappa …) et à ce titre, il était le mieux informé pour composer cet hymne. Sa relation avec Burroughs ayant démarré en 1964, on peut dire qu’il maîtrise parfaitement son sujet. On ressent l’épaisseur de tout cela au fil des pages. Le piéton qui a fait le voyage rue Gît-le-Cœur, après avoir lu son Barry Miles, est certain de voir l’hôtel tel qu’il existait au temps de Madame Rachou. En ouvrant puis en fermant les yeux, plusieurs fois de suite, il découvrira, comme à travers les encoches d’une Dreamachine, la façade grise et vermoulue et, devant la porte vitrée où ont été tracées à la main CAFÉ VINS LIQUEURS, William Burroughs le saluera.


Guy Darol

 

Barry Miles, Beat Hotel, Allen Ginsberg, William Burroughs & Gregory Corso à Paris, 1957-1963, Éditions Le Mot et le Reste, septembre 2011, 303 p., 23 €

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