Emile Zola, Jack London : Les diverses facettes de la biographie

Le domaine de la biographie se peut aborder de maintes façons. Toutes ont ceci en commun qu’elles permettent de saisir la personnalité d’un écrivain jusque dans ce qu’elle présente de plus surprenant ou inattendu. De cerner celui-ci dans son intime, au point, parfois, qu’il en devient familier. D’explorer l’envers du décor. D’approfondir les rapports entre l’homme et son œuvre. Celle-ci en est souvent éclairée – même s’il ne s’agit pas pour autant d’adopter le point de vue quelque peu sommaire de Sainte-Beuve contre Proust. Ni même de s’en tenir aux notes de blanchisseuse avec une méticulosité dont les Américains se sont fait un apanage. Deux ouvrages récemment parus illustrent, chacun à sa manière, les mérites d’une approche qui nous fait plonger au cœur même de l’univers d’un écrivain.

 

Le premier, Chez Zola. Si Médan m’était conté..., de Valentine del Moral, permet de découvrir le champion du Naturalisme sous un jour particulier. Un Zola familier, aussi éloigné du misérabilisme qu’il se plaît à peindre dans ses romans que de l’engagement politique et social – du moins jusqu’au tonitruant J’accuse qui viendra perturber l’existence des familiers de Médan. A l’inverse, un grand bourgeois, féru d’art, qui compte parmi ses amis peintres et sculpteurs  (Paul Cézanne, Philippe Solari, Gustave Courbet) et écrivains tels Flaubert, les frères Goncourt et  Guy de Maupassant, entre bien d’autres.

 

Le succès de L’Assommoir, en 1877, lui apporte, avec la reconnaissance  littéraire, une aisance suffisante pour acquérir, sur un coup de foudre, la maison de Médan. C’est là qu’il va désormais recevoir ses familiers. Lesquels profiteront de la libéralité d’un hôte qui les accueille, eux et, souvent, leur famille et leurs enfants, pour des séjours prolongés. Non que Zola ait renoncé à édifier une œuvre romanesque considérable dont témoignent les quelque vingt volumes des Rougon-Macquart. Du reste, il n’hésite pas, en peintre scrupuleux de la réalité, à mettre, si nécessaire, ses fidèles visiteurs à contribution pour réunir une documentation sur des faits ou des lieux qui nourriront ses descriptions.

 

Sa vie à Médan est réglée de telle sorte que le temps consacré à l’exercice solitaire de l’écriture ne pâtît jamais des exigences de la convivialité. Il s’adonne, certes, et scrupuleusement, à son métier d’écrivain, mais ne sacrifie pas pour autant d’autres passions.

 

Et elles sont nombreuses. Car il n’est guère de domaine qui échappe à sa curiosité fantasque. Collectionneur compulsif, il accumule, outre les appareils photographiques dont il est féru, les objets les plus hétéroclites, transformant sa demeure en brocante. Il entretient une ménagerie où ses nombreux chiens voisinent avec une guenon, accorde le même soin au jardin où se donne libre cours son goût pour la botanique. Avec cela, imprimant à son domaine une empreinte baroque qui reflète sa propre personnalité. Bref, l’aisance matérielle alliée à une attirance pour tout ce qui est moderne, voire provocant. Toutes les caractéristiques de ce que l’on appellerait aujourd’hui un bobo.

 

Quant à sa vie personnelle, partagé entre son épouse Alexandrine  (ces langues de vipère de Goncourt la surnomment « la Gorgone Zola ») et sa jeune maîtresse Jeanne, qu’il tentera en vain d’introduire à Médan, il  réussit à lui  trouver sinon un harmonieux équilibre, tout au moins un compromis acceptable. La première ne lui a pas donné d’enfant mais supportera sa liaison avec une louable équanimité. De la seconde, naîtront un garçon et une fille à qui leur père rendra des visites quotidiennes. A bicyclette, une autre de ses passions…

 

Tout cela est conté avec une réjouissante alacrité par une biographe dont le talent nous fait pénétrer dans l’intimité de Zola. Difficile, à la lire, de ne point éprouver pour ce dernier de la sympathie. Et de penser que ses contempteurs, à commencer par Barbey d’Aurevilly qui ne craignait pas de le traiter de « Michel-Ange de la crotte » et d’ « Hercule souillé qui remue le fumier d’Augias » avaient, décidément, la dent très dure.

 

La démarche adoptée par Francis Lacassin diffère de celle de Valentine del Moral. Lui aussi part à la découverte d’un écrivain, en l’occurrence Jack London, mais à partir de l’œuvre elle-même – ou, du moins, des écrits de celui-ci. Ainsi, sous le titre  Profession : écrivain, se trouvent rassemblés quatre-vingt-treize textes, puisés dans la correspondance du romancier américain ainsi que dans de petites revues dénichées au fin fond des bibliothèques de son pays.

 

Nul mieux que Lacassin, disparu en 2008, ne pouvait mener à bien cette entreprise. La BD doit ses lettres de noblesse à ce spécialiste des cultures populaires, grand connaisseur de la littérature  d’aventures. Ses éditions critiques de James Oliver Curwood et de Jack London, entre autres, publiées dans la collection Bouquins, restent des modèles du genre. Son but, dans cette anthologie, est de plonger dans les coulisses de l’œuvre pour y débusquer les commentaires de l’auteur lui-même surs ses propres écrits et, accessoirement, sur les auteurs dont il reconnait l’influence, Kipling, Stevenson, Conrad ou Spencer.

 

A travers cette  quête originale, se  dégage une facette jusque là ignorée de la personnalité d’un auteur qui a marqué la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècles. On connaissait le chercheur d’or, l’aventurier, le voyageur, le militant socialiste, le prophète du retour à la nature et à la vie rurale. Voici  le « travailleur de la plume » qui livre sa conception de l’écriture et du métier d’auteur et de journaliste, ses rapports avec les rédacteurs en chef et les éditeurs auxquels il s’est trouvé confronté.

 

Autant de détails qui dévoilent,  à petites touches, le portrait d’un écrivain qui se considérait « non pas (comme) un voyant  visité par les illuminations de l’art, mais un homme  contraint de se plier comme les autres à la discipline d’un métier. »  En définitive, un homme qui, à l’instar de ses héros, n’acceptait pas la vie et le monde tels qu’ils étaient, mais était prêt, pour réussir, à s’imposer une stricte discipline et des efforts constants. Soit une belle leçon de réalisme.

 

Jacques Aboucaya

 

Valentine del Moral, Chez Zola. Si Médan m’était conté…, de Fallois, septembre 2015, 230 p., 18 €.

 

Jack London, Profession : écrivain, traduit de l’anglais par Francis Lacassin et Jacques Parsons, présenté et annoté par Francis Lacassin, Les Belles Lettres, janvier 2016,  390 p., 13,90 €.

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