Le Monde (imaginaire) d’Antoine Blondin. Une exploration magistrale

Le vingt-cinquième anniversaire de la disparition d’Antoine Blondin (1922-1961) est célébré à petit bruit. Il n’est pas de ces écrivains qui affolent les media. Lesquels, de surcroît, ont toutes les raisons de manifester leur circonspection à l’égard d’un non-conformiste de son espèce. Trop désinvolte, trop irrespectueux. Plus ou moins sulfureux, en outre, si l’on se réfère à ses engagements de jeunesse.

 

En ces temps de consensus mou, de prêt-à-penser érigé en valeur suprême, de conformisme triomphant, son œuvre dérange – ou, plutôt, dérangerait si le « grand public » connaissait seulement son existence. Trop subtile, trop secrète. Surtout, trop pudique. Blondin n’est pas de ces auteurs qui tournent autour de leur propre nombril, plastronnent, tonitruent. S’il lui arrive de se livrer à des confidences, c’est toujours mezza voce. Une des caractéristiques essentielles de son art.

 

Elle compte pourtant, cette œuvre, des lecteurs fervents. Certains réservent même à l’auteur d’Un singe en hiver une tendresse particulière qui fait de lui, parmi ceux que Bernard Franck avait baptisés « les Hussards » (le terme a fait florès), un auteur à part. Celui dont la petite musique douce-amère demeure reconnaissable entre mille. Dont les écrits échappent à toutes les conventions, mêlant le roman et le reportage, la chronique, l’autofiction et le mini-essai littéraire. Un ton unique. Une allégresse mélancolique. Le goût immodéré du calembour et de la pirouette. Le culte de l’amitié, du sport et de la littérature. Et une connivence nonpareille avec son lecteur

 

De cette œuvre, Alain Cresciucci demeure un incomparable spécialiste. Il connaît son Blondin comme sa poche. Il lui a consacré notamment une biographie (Gallimard, 2004) qui fait autorité. De surcroît, fin connaisseur d’une période marquée par un sursaut de légèreté et de fantaisie, en réaction contre la pesanteur de plomb que l’emprise sartrienne prétendait imposer à notre littérature. Passionnants, son essai sur Jacques Laurent (Jacques Laurent à l’œuvre. Itinéraire d’un enfant du siècle, Pierre-Guillaume de Roux, 2014), ou celui qu’il a consacré à ceux qu’il appelle Les Désenchantés. Blondin, Déon, Laurent, Nimier (Fayard, 2011). Un qualificatif justifié, certes, mais qui semble faire fi, justement, de cette légèreté si caractéristique.

 

Tout aussi magistrale, sa présente exploration de l’univers blondinien. Il le parcourt en tous sens, en dégage les lignes de force. La topologie réelle y rejoint l’imaginaire. Il montre l’étroite imbrication entre les confidences à peine voilées et les envolées de l’imagination. Ainsi apparaissent des réseaux inattendus d’influences, de réminiscences plus ou moins implicites dont l’œuvre est traversée, qu’il s’agisse de reportages, d’essais ou de romans. Tant il est vrai que ce qu’on nomme aujourd’hui « autofiction » se dissimule partout,  perceptible jusque dans les moindres recoins, pour peu que l’on sache l’y débusquer.

 

En quoi Alain Cresciucci excelle. De même qu’il existe une géographie sacrée, il met en lumière ce qui confère aux écrits de Blondin leur cohérence supérieure, cette « géographie affective, branche cadette de la géographie humaine ». Ainsi, souligne-t-il, « l’art blondinien nous expose l’unité dans la diversité de la France ». Une thèse séduisante, soutenue et argumentée de façon convaincante. Elle suppose, comme déjà dit, une connaissance exhaustive, et même méticuleuse, d’un corpus plus étendu qu’il n’y paraît de prime abord, si l’on y inclut les nombreux articles et chroniques.

 

Il va sans dire que cette manière de navigation dans le monde de Blondin met en relation des lieux qui lui étaient familiers, qu’il s’agisse des arrondissements parisiens où il avait ses habitudes ou des coins de province qu’il fréquentait.  Mais les personnages de ses romans et les mythes personnels de l’écrivain y trouvent aussi leur place. « De toute façon, précise Alain Cresciucci, il évolue volontiers dans la dimension légendaire pour y fonder sa mythologie particulière. »  Si bien que cette étude à la profondeur inégalée permet de pénétrer jusqu’à l’intime un univers des plus attachants.

 

Jacques Aboucaya

 

Alain Cresciucci, Le Monde (imaginaire) d’Antoine Blondin, Pierre-Guillaume de Roux, avril 2016, 210 p., 21 €.

 

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