Gérard Morel livre une mini-étude sur Arsène Lupin

Hommage soit rendu à cet homme politique qui, non sans courage, dénonçait récemment à la radio le sophisme implicite dont lui-même et ses pairs sont victimes quand les journalistes leur demandent d’être à la fois clairs et concis. Car la clarté est le plus souvent le contraire même de la concision. Pour comprendre un événement, pour pouvoir le juger, il faut en connaître les causes et les ramifications. Et tout cela prend du temps. Napoléon le savait bien, qui se vantait cyniquement d’avoir dicté une constitution « courte et obscure ». Lui au moins savait apparier des adjectifs compatibles.    
On ne saurait attendre des monographies de trente-quatre pages (couverture comprise) publiées depuis quelque temps par Nouveau Monde Editions qu’elles soient claires : ces « Petits illustrés » sont moins des livres que des brochurettes, des espèces d’articles de journaux « tirés à part », et le texte est d’autant plus réduit que chaque page est ornée d’au moins un document iconographique. L’un des derniers titres sortis, Arsène Lupin, de Gérard Morel, n’échappe pas au ridicule dans sa volonté frénétique de concision : quelle légende, d’après vous, sous la reproduction de la couverture d’une édition du roman la Barre-y-va ? Eh bien, « Couverture de la Barre-y-va». Plus loin, «  Couverture des Trois crimes d’Arsène Lupin », « Couverture de l’Aiguille creuse »… Mais cette obscure clarté qui tombe des étoiles gagne le texte lui-même, l’auteur nous avertissant que, par respect pour les lecteurs qui n’auraient pas encore lu des romans de Maurice Leblanc, il se gardera bien, en les analysant, d’en dévoiler certaines surprises. Si ce monsieur écrit un jour sur Agatha Christie, gageons que, à propos du Meurtre de Roger Ackroyd, il ne dira rien de la question du narrateur. Ah ! cette manie du secret, si française, si mesquine... Un prestidigitateur expliquait un jour qu’il ne dévoilait jamais ses trucs au public français parce que, dès que le public français connaît le truc, le seul commentaire qu’il soit capable de faire est dépréciatif : « Ah ! ce n’était que cela ! » En Angleterre, au contraire, le public s’émerveille à l’idée qu’on ait pu le berner avec si peu de chose.    
Une fois ces réserves faites, il convient de reconnaître que Gérard Morel, non content de tordre le cou en passant à une légende tenace (Lupin ne s’est jamais appelé Lopin ; il a toujours été Lupin, dès la première publication de sa première aventure), parvient à dire l’essentiel sur son sujet, malgré le plan schématique imposé par le format (1. Maurice Leblanc ; 2. le personnage d’Arsène Lupin ; 3. ses adversaires ; 4. les adaptations au cinéma et à la télévision). L’essentiel, en l’occurrence, c’est qu’un auteur « léger » comme Leblanc est resté dans l’histoire de la littérature quand un très respectable Paul Bourget est tombé dans l’oubli sans espoir de retour. Car pour qu’une œuvre devienne œuvre littéraire, elle doit être contradictoire. Elle doit avoir pour héros un personnage tout à la fois inscrit dans son époque et échappant à son époque. Lupin est cambrioleur et gentleman. On oublie que ce hors-la-loi a mis plusieurs fois ses talents au service de la France pour aider celle-ci à surmonter les blessures de la Grande Guerre, tout en dénonçant certains aspects de cette même France — la corruption des députés par exemple, ou la tristesse foncière de la Belle Époque. Lupin est tout à la fois acteur et témoin, lui-même et un autre (cf. l’étonnant épisode où il s’évade de prison en faisant croire qu’un autre s’est évadé à sa place). Bref, tout en agissant toujours hic et nunc, il s’arrange constamment pour que la vraie vie soit ailleurs.

FAL


P.S. --
Les critiques britanniques n’ont pas manqué de souligner tout ce que Ian Fleming avait emprunté pour ses aventures de James Bond à divers auteurs anglo-saxons de romans d’espionnage. Toutefois, quand nous relisons le premier « Bond », Casino Royale (paru en 1953), quelque chose nous dit que Fleming, qui parlait notre langue suffisamment bien pour croire, le pauvre, qu’il pouvait exister en France un « Hôtel Splendide » (avec un –e !), avait en tête des souvenirs d’Arsène Lupin. La quasi-totalité de l’action de Casino Royale se situe dans une ville (imaginaire, mais si peu) de Normandie, contrée chère à Leblanc et à Lupin, et nous ne sommes pas loin de penser que Bond a dû croiser, dans les couloirs du casino de cette Royale-les-Eaux, l’ombre d’un personnage du début du siècle portant monocle et chapeau haut-de-forme.

Gérard Morel, Arsène Lupin, Nouveau Monde Editions, "les Petits illustrés", oct. 2005, 31 pages, 3 euros.

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