Jean-Edern Hallier ou le narcissique parfait

Voilà une entreprise qui semblait saine et méritoire : prendre la figure du commandeur de pacotille que fut Jean-Edern Hallier et ... rien, car c'est d'un éloge de la folie à l'âge médiatique qu'il va être question, ni de littérature (mais avec Jean-Edern, il n'en a pas été question si longtemps...), ni vraiment de biographie, juste un ego en mouvement comme un bouffon sur la scène que n'illumine pas assez la poursuite.

C'est un éloge de la folie, en effet, mais de la foie maîtrisée, calculée, fausse et molle qui ressort malgré les efforts immenses de François Bousquet pour dresser un « personnage » que l'on propose à notre admiration. Scapin, Pantalon, comme l'on veut, l'auteur a beaucoup de références, mais histrion né à l'étroit dans une époque qui manquait de génie : et le voilà, luttant contre sa naissance (au physique comme financier), luttant contre la médiocrité de sa littérature pour essayer de poser. Voilà le mot : un poseur. Mais à toujours surenchérir sur sa propre valeur, auto proclamée, il a sans doute perdu le talent d'écrivain qu'il pouvait avoir pour la montre.

Eloge du monstre, éloge du fou

Emporté — presque empêtré dans... — un lyrisme qui sent l'ouvrage de commande à la mémoire de, François Bousquet perd assez vite le fil de son sujet pour donner des phrases. Certes, de belles phrases, mais rien de plus, rien, en fait, qui puisse conduire à la connaissance du monstre que fut Jean-Edern Hallier. Tout n'est qu'occasions de dorer encore un peu plus la statue de son amoureux — lâchons le mot : c'est une lettre d'amour posthume que ce trop long petit livre qui sent le disciple — et les faits de la biographie sont gentiment triés pour idéaliser le maître. Mais à force d'outrer le propos il ne fait que gonfler une baudruche vide : quelle que soit la critique, qu'il ne peut tout de même pas faire oublier, François Bousquet retourne la situation pour en faire un éloge, nous prenant un peu pour de parfaits abrutis :

« Jean-Edern se sauvait toujours du ridicule par l'excès même de ridicule, par son emphase. Comme il avait perdu toute valeur, il rajoutait des zéros. »


Il n'y aura rien à dire : tout ce qui a fait la figure incroyable et pathétique de bouffon ne saurait fonder une réalité que si elle est outrée et s'impose comme un travestissement. Son rapport à l'argent, son rapport à la politique, l'aventure magnifique de L'Idiot international, ses auto-enlèvements et ses attentats, tout cela est examiné avec la seule petite lucarne du génie. Car on ne pourra rien y faire, depuis Hugo jusqu'à Jean-Edern, pour François Bousquet dont on peine à comprendre les raisons, une ligne continue marque le temps du génie français, grandiose, chevaleresque.

Le livre refermé, on attend que survienne une image, mais tout s'est déjà évaporé dans le verbiage incessant de cette apologie qui aurait pu faire un bon libelle, au lieu de s'étirer sur 133 pages de redites et de snobisme aporétique dont la finalité sera de dire : il était fou, mais quel génie. Ne nous reste que la sensation d'un pantin agité, que l'appréhension d'un « cas » qu'on ne connaîtrait pas vraiment. A l'opposé exact de la très remarquable biographie de Sarah Vajda — pris comme exutoire et cité vite pour s'en défaire... — nous demeurons dans l'incertitude, l'indéterminé, le flou. En un mot, mais sans y parvenir, François Bousquet veut faire plus que Jean-Edern lui-même et l'imposer comme mythe moderne, offert aux démons de l'ère médiatique. Mais cette métaphore sans réelle substance sur l'homme ne laisse rien, sinon les variations de belles phrases sur la magnificence creuse et folle du crapuleux Jean-Edern. Le marbre ne fait pas la statue.

Loïc Di stefano

François Bousquet, Jean-Edern Hallier ou le narcissique parfait, Albin Michel, septembre 2005, 133 pages, 13 €

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