Biographie propre mais hors sujet de Verlaine

FEUILLES MORTES

La vie de Verlaine est un rêve pour un biographe. Que d’événements ! Que de scandales ! Mais c’est bien là le danger. 

Que le Verlaine de Jean-Baptiste Baronian publié dans « Folio Biographies » se retrouve non loin du Baudelaire commis il y a quelque temps par le même auteur, rien de plus logique. Qu’il côtoie Attila ou Jacques Tati est un peu plus surprenant. Mais, comme certains hasards ne sont pas tout à fait fortuits, il ne faudra pas s’offusquer s’il se place sur la même étagère qu’unJames Dean ou qu’un Marilyn Monroe. Verlaine ne l’a sans doute pas fait exprès, puisque tout le monde s’accorde à dire que la volonté était sans doute ce qui lui faisait le plus défaut, mais la vie qui fut la sienne a quelque chose d’étonnamment, de mélodramatiquement hollywoodien. Sexe, violence et rock’n’roll — tout y est. Et même plus. Ivrognerie, fréquentation des prostituées, homosexualité, masochisme, coup de pistolet tiré sur Rimbaud, tentatives multiples d’étranglement de sa mère, séjours en prison. Bref, Verlaine volerait la vedette à bien des Britney Spears sur la couverture deGala s’il vivait de nos jours. Ajoutons que le principe, bien connu de tous les scénaristes, qui veut que les séquences d’action soient de temps en temps interrompues par des moments de calme pour laisser souffler le public, est parfaitement respecté : entre deux frasques, Verlaine croit trouver Dieu, se fait born again Christian avant l’heure et tente de redevenir mari fidèle ; il y croit tellement que nous-mêmes ne sommes pas loin de partager sa foi. Mais, évidemment, c’est compter sans Méphisto-Rimbaud… 

Pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas ces aspects de l’existence de Verlaine, Jean-Baptiste Baronian respecte parfaitement le cahier des charges. Il raconte, et de manière finalement assez agréable et, pour tout dire, efficace (n’a-t-il pas, un temps, dirigé les éditions musclées du Fleuve Noir ?). Mais, ce faisant, il passe totalement à côté du sujet, comme étaient largement passés à côté de leur sujet deux films (Une Saison en enfer, de Nelo Risi, et Éclipse totale, d’Agnieszka Holland) qui entendaient traiter de la relation entre Verlaine et Rimbaud. Sans doute la gageure est-elle impossible, mais enfin, et sans vouloir, bien au contraire, minimiser la part de la biographie dans la création d’un poète, l’étude de la vie d’un poète n’est intéressante que si elle permet de mieux comprendre ce qui lui a donné son identité poétique. Rien de tel, malheureusement, dans le travail de Baronian. Pas la moindre distance critique, ne serait-ce que dans le détail. On nous dit que le fameux « Il pleure dans mon cœur » s’inspire de la phrase de Rimbaud, citée par Verlaine lui-même, « Il pleut doucement sur la ville », sans se demander si Verlaine, en mettant en exergue une citation aussi banale, n’a pas voulu, par jalousie peut-être, se moquer de son camarade. On insiste, évidemment, sur l’homosexualité de l’un et de l’autre, mais en la présentant pratiquement comme un fait acquis. Plus intéressante était la thèse avancée jadis par un critique, suivant laquelle Verlaine et Rimbaud n’étaient homosexuels ni l’un ni l’autre, l’homosexualité n’étant chez eux qu’une phase parmi tant d’autres de leur exploration systématique du monde. Tous deux ont fini leur vie très hétérosexuellement et, dans le cas de Verlaine, il ne serait sans doute pas mauvais de mettre en rapport ce flou des pulsions avec son Art poétique dans lequel « l’Indécis au Précis se joint » ou sa fascination pour les rythmes impairs. Quand Baronian essaie d’extrapoler, c’est à la manière de Paris-Match : il nous explique que c’est « les yeux écarquillés » que Verlaine découvre dans un journal la nouvelle de la mort de Rimbaud. Ailleurs, Verlaine va « s’affaler dans un fauteuil du boudoir ». Bref, le portrait d’un des plus grands poètes français a des allures de roman de gare ou rappelle ces émissions radiophoniques dans lesquelles le seul ton admis est celui de la conversation de salon.

Tout le reste, c’est vrai, était littérature... Mais c’était précisément ce dont on eût aimé entendre parler.

Paradoxalement, le petit ouvrage Et la nuit seule entendit leurs paroles (récemment réédité dans la petite collection Mille et Une Nuits), dans lequel Patrick Besson s’amuse à reconstituer la dernière rencontre entre Verlaine et Rimbaud à grands renforts d’anachronismes (Verlaine se plaint par exemple d’être très « stressé ») et de grossièretés, a des accents de vérité infiniment plus convaincants. Les liens d’amour et de haine entre les deux hommes sont aussi ceux de deux rivaux fascinés par la même Muse.

FAL 

Jean-Baptiste Baronian, Verlaine, Gallimard, "Folio biographie", mai 2008, 221 pages, 6,80 euros

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