"Céline et le grand mensonge" d'André Rossel-Kirschen, retour sur les scandales et le génie littéraire

Voilà un petit travail qui ne mâche pas ses mots ni ne cache son ambition : se faire Céline ! si beaucoup ont essayé, la statue du Commandeur est encore bien en place, et sa littérature si présente à nos coeurs que, d'emblée, nous sortons les boucliers. Le principe me déplaît. Se faire son bonhomme n'est pas un procédé très généreux. Et même si la cible est la dernière des pourritures, il ne peut être descendu dos au mur : c'est prendre la place des héros de la morale pure et cela ne vaut rien, la roue tournant assez vite. Qui plus est, André Rossel-Kirschen se cache derrière la doxa et n'en profite même pas pour taper un petit coup sur les auteurs de dictionnaires qui ne font que compiler le bruit commun : tout commence en effet par une lecture du Robert, dont l'entrée « Céline » est vermoulue d'erreurs, mais pas la faute des auteurs du dictionnaire, celle de Céline qui a si bien roulé son monde que tout le monde, justement, et même les plus doctes, s'est laissé étouffer l'esprit critique par les salauderies de cet « écrivain nazi ». Sauf André Rossel-Kirschen, clairvoyant et salvateur.

Plusieurs défauts cependant sont une trahison de l'emportement de l'auteur. Pris à son sujet, il oublie peut-être de se relire et nous reproduit plusieurs petites analyses (au demeurant fort intéressantes) plusieurs fois, sur plusieurs pages (par exemple la relation Céline-Hindus). La bibliographie, également, semble avoir subi un sort particulier. Si Philippe Alméras est cité, cette aile droite des céliniens, ni Henri Godard le sage universitaire éditeur des Pléiades, ni Emile Brami le libraire biographe ni Philippe Murray - surtout pas celui qui a démontré l'intérêt et la vérité des pamphlets, ça ne rentre pas dans la case - ne semble avoir intéressé notre penseur. Pourquoi cela ? Homme de gauche, il prétend lever un voile sur une légende, et même si son travail est fouillé et laisse un arrière-goût amer aux thuriféraires du grognon de Meudon, il eut été dommage pour lui de citer des travaux qui, déjà, depuis longtemps, disaient la même chose, et en mieux.

Que reproche-t-on à Céline dans cet ouvrage ? de n'être pas un honnête homme. Il accumule l'argent comme le dernier des Harpagons et joue constamment la misère ; il a menti sur sa famille, ses études, ses amis ; il trahit l'un avec l'autre, constamment ; il a écrit des pamphlets antisémites par apprêté au gain et non par véritable antisémitisme (ce qui serait, en un sens, plus « moral ») ; il s'autoproclame génie et martyr et a si bien embobiné son monde que cette légende s'est imposée. Imposée partout, dans les dictionnaire aussi bien que les manuels scolaires, à tous, sauf à André Rossel-Kirschen, qui veillait en cachette, cette vision de l'homme Louis-Ferdinand Destouches est le signe d'un pourrissement de l'âme qui ne peut conduire qu'à l'exécration et à l'écriture d'une oeuvre mauvaise. Car le génie même littéraire est mis en doute, d'abord comme témoignage de sa vraie vie - mais qui s'y intéresse, depuis Sainte-Beuve, aux référents existentiels transmigrés dans la fiction ? - ensuite en tant que tel. Voire.

Malgré cela, l'accumulation de citations, des lettres de Céline à ses proches notamment, dresse le portrait peu réjouissant d'un homme. La correspondance est très bien utilisée pour mettre en avant les nombreuses contradictions et névroses d'un agité du bocal qui, fort de son intérêt primant tout, aura joué sa vie à trahir tout le monde. Nous laissons de côté la partie littéraire de son analyse, ne reconnaissant pas à son travail antérieur le droit de juger de l'écriture célinienne, et son retard en lecture critique est tel qu'il ne semble pas équipé pour nous répondre sur ce terrain et c ne serait pas charitable de notre part que de l'y conduire.

André Rossel-Kirschen aura donc prouvé, ce que nous savions, qu'on peut être un parfait salaud et laisser à la postérité une oeuvre magistrale, quoi qu'il en dise, car si ses éditeurs le supportent, tolèrent ses frasques et cèdent même devant ses caprices, insultes, atermoiements et ses conditions financières hors normes, c'est qu'ils savent la qualité de son oeuvre, de son écriture, que la postérité retiendra. Emile Brami, qu'André Rossel-Kirschen n'a sans doute pas lu, n'a jamais dit autre chose mais explique sans surcharger d'avance et par principe politique, et résume ainsi le noeud des affaires Céline qui n'ont pas fini de voir le jour :

« Le scandale des pamphlets de Céline n'est finalement pas que ce soient des pamphlets antisémites, la littérature française cachée dans les caves des grands éditeurs parisiens en est pleine, mais qu'un écrivain de grand talent ait fait un pamphlet antisémite qui restera dans l'Histoire de la littérature »

Loïc Di Stefano


André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge, Mille et une nuits, novembre 2004, 230 pages, 12 euros

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