"Antimanuel de littérature" : Et si la littérature n’aimait pas la vérité ?

Voici une collection décalée qui se veut dans l’air du temps. Pour cela vous devrez aimer l’humour deuxième degré. Car l’auteur s’amuse avec les notes bas de page dans un dialogue croustillant avec l’éditeur. Nonobstant, le but de cet ouvrage est autre. Selon Bégaudeau la littérature est intimidante. Voire hautaine. Car elle aurait tendance à se distinguer avec suffisance de la masse des écrits. Elle se voudrait noble, la garce !
Il a donc mené l’enquête. Se refusant au classement par genres. Et s’autorisant beaucoup ... Car il pense que la littérature rendue factuelle est ce qui peut la sauver. Tout le moins de permettre aux lecteurs en herbe de ne plus être rebutés par "la distance qu’on semble devoir parcourir pour accéder au ciel des lettres."
Ce livre est alternatif puisqu’il se déjoue de la contre-productivité des manuels qui sacralisent la littérature. Et qui, au lieu de jouer avec elle, la rendent intimidante. Plutôt que désirable.


Partant d’une tentative de définir la littérature, Bégaudeau ira se perdre dans les chemins de traverses. Car la littérature sera ludique ou ne sera pas ! Et si le littérateur met un point d’honneur à clamer qu’il n’emprunte pas les mêmes chemins que la raison, il se fourvoie. Car l’exercice de la raison vise l’avènement de vérités (Frank Black). Mais la littérature n’aime pas la vérité. Pour preuve, "la conversation courante évoque souvent l’écrivain en tant que pourvoyeur de phrases définitives, à la frappe d’autant plus efficace qu’elles découpent un bloc de sens posé sur la page comme un rocher de certitude."


Alors, que faire ?

Avec l’aide de larges extraits, Bégaudeau tente plusieurs réponses pour cerner cette littérature qui file entre ses doigts comme du sable fin. Quand commence-t-on à la nommer ainsi, cette fichue littérature ? Quand "s’effilochent les toges, s’effritent les monuments, s’effondrent les idées majuscules" ? Les grands mots cachent souvent de grandes choses, et il faut savoir les contourner pour atteindre le Graal.
Et que dire du style ? Tout et rien, car des goûts et des couleurs, comme dit l’adage... Qui peut se targuer d’imposer un canon parmi d’autres formes d’expression ? Le rap, est-ce alors de la littérature ?


De constat en discorde, de contre-pied en inventaire désopilant qu’un chat griffé par Xavier Gorce anime à chaque chapitre, ce(t) (anti)manuel à charge est une bombe à retardement. Un guide aussi que les enseignants feraient bien d’entreprendre en leurs classes. Histoire de tordre le cou aux rumeurs. Non la littérature française contemporaine n’est pas moribonde. Mais l’envie d’elle, plutôt. Pour sortir de la mode de l’auto-flagellation il faut recouvrir le plaisir de lire. Rien de tel qu’une autre manière d’en parler.


Annabelle Hautecontre


François Bégaudeau, Antimanuel de littérature, Editions Bréal, octobre 2008, 312 p. illustrées en couleurs - 21,00 €    

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2 commentaires

rendre accessible, c'est la tare des épiscripteurs comme ce triste monsieur Bégaudeau. Descendre à portée de main et ne pas porter le lecteur à hauteur du fruit ! c'est affligeant de connerie et de bons sentiments ! et si l'arbre est vraiment trop haut, alors autant le couper, n'est-ce pas, on n'aura pas ses fruits de toute façon alors autant dégager le ciel pour les arbustes contemporains qui se pensent égaux des chênes ancestraux ! 

Le pire, c'est que Bégaudeau ne rend pas du tout accessible quoi que ce soit dans cet Anti-manuel. (rendre accessible peut avoir sa grandeur: Simone Weil proposait une version simple - mais pas simplifiée - d'Antigone de Sophocle à un public ouvrier, je ne sais pas si elle a touché beaucoup d'âmes ainsi, mais enfin le geste était beau, et sans condescendance). Bégaudeau, lui, se met juste en scène en pourfendeur cool des vieilles idées sur la littérature. En propose-t-il de nouvelles? Surtout pas! Entre deux blagues pré-adolescentes, clins d'oeil aux copains (il en cite un maximum, j'espère qu'ils ont pensé à le remercier), et incises démagogiques (certaines saillies de l'Equipe ou Libération seraient hautement littéraires), il essaie d'en mettre plein la vue avec formules creuses et sous-entendus évasifs pour masquer qu'au final, la littérature, il ne sait pas trop ce que c'est - et au fond il s'en fout.