Serge Niémetz, "Stefan Zweig - Le Voyageur et ses mondes" : la biographie de référence

En 1881, le 28 novembre, dans un grand appartement d’un bel immeuble d’angle du quartier de la Bourse à Vienne, nait un petit garçon, prénommé Stefan, le second fils d’une famille aisée de la bourgeoisie juive.
Petropolis, au nord de Rio de Janeiro, au 34 rue Gonçalvès, un couple s’est suicidé le dimanche 22 février 1942. Les papiers permettent d’établir qu’il s’agit de Stefan Zweig, âgé de soixante ans et d’Elisabeth Charlotte, son épouse, âgée de trente-trois ans, tous deux de nationalité anglaise, depuis un an.

Entre ces deux faits, s’est déroulée la vie d’un homme d’exception. On mesure mal la profusion et la variété de sa production littéraire, lui qui fut auteur de nouvelles, récits, légendes, romans, biographies, essais critiques, monographies et miniatures historiques, poèmes, drames, d’un livret d’opéra, d’une multitude d’articles, de préfaces, traductions, journaux personnels et une correspondance pléthorique proche de trente mille lettres.

En 1990, Serge Niemetz commence la traduction de Souvenirs d’un Européen. Il avait gardé, de Stefan Zweig, un sentiment mitigé, le jugeant : "charmant mais "profondément" superficiel." Confronté à l’œuvre à traduire, il découvre un texte écrit dans un allemand très pur, précis, musical. Il est frappé par : "...le pouvoir d’empathie de l’auteur qui donne à ses personnages une présence si intense...", par sa capacité d’évoquer des événements, des atmosphères, des lieux, ces instants fragiles où tout est possible, par l’exactitude des tournures, par son sens du détail et du mot.

Séduit, Serge Niemetz décide d’approfondir la vie et l’œuvre de cet auteur. Il traque ce que fut cet homme et ses parcours. Il identifie un individu toujours en mouvement, un écrivain déchiré entre ses univers fictifs et le monde réel, peinant à trouver une identité qui lui convienne. Stefan Zweig refusait, par exemple, l’étiquette d’écrivain juif. Stefan Zweig ne trouve de place nulle part, confronté aux grands problèmes politiques et sociaux de la première moitié du XXe siècle. Et ils furent nombreux et épineux.

À travers les témoignages, la correspondance et les journaux qu’il tenait, le biographe fait émerger ce géant de la littérature. On ne peut s’empêcher de penser, et de lui appliquer, le vers de Baudelaire qui clôture L’Albatros :

Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher
.

Serge Niemetz rédige une biographie éclairée, au contenu puisé aux meilleures sources. Au terme d’une enquête de plusieurs années, il cerne ainsi la personnalité complexe : "Qui est-il ? Devenu écrivain au regard d’autrui sans avoir proprement décidé de le devenir en en prenant tous les risques ...il a le sentiment d’être lancé sur une trajectoire qu’il ne détermine pas, dans une course de tâche en tâche, ...mais poussé sans trêve à chercher ailleurs, plus loin, l’énergie qui en retour nourrisse son mouvement."

Mais, sa nature brouillée trouve des appuis qui lui permettent de faire illusion. Il en est ainsi de Friderike Maria Von Winternitz qui partagea sa vie pendant plus de vingt-cinq ans. Leur rencontre se fonde sur un double malentendu. Pour elle, il apparaît comme quelqu’un sur qui elle pourrait s’appuyer. Pour lui, s’il trouve qu’elle possède une grande énergie dans la franchise affective, il remarque surtout sa délicatesse et sa sensibilité. Mais elle lui offrira, pendant un quart de siècle : "...un havre sûr et un point d’appui solide, lui permettra de ressembler, pour le public, au grand écrivain serein et installé qu’elle a cru percevoir en lui, alors que derrière la façade des succès il était en train de traverser une terrible crise."

À l’occasion des 70 ans de la mort de l’homme de lettres, Belfond réédite la biographie française de référence de cet écrivain devenu un classique : Stefan Zweig, le voyageur et ses mondes, de Serge Niémetz, parut en 1996. Celui-ci, traducteur, biographe, normalien, agrégé de lettres, a tenu à une réédition identique augmentée d’une postface consacrée au survol du parcours éditorial de l’œuvre depuis cette date.
C’est une œuvre qui, malgré une "traversée du désert", n’a jamais quitté les rayons des librairies. Celle-ci est dispersée entre plusieurs éditeurs qui, selon leur politique, réédite ou pas. Mais, depuis quelques années, ses romans, nouvelles et pièces théâtrales trouvent un nouvel intérêt. Ils sont présents dans deux salles parisiennes, et 2012 verra une déferlante de rééditions. L’entrée dans La Pléiade, prévue en 2013 ou 2014, permettra de reconstruire ce monument littéraire.

C’est donc le moment de découvrir la face cachée de cet écrivain à l’immense talent, par le biais de cette biographie, la référence française en la matière.

Serge Perraud


Serge Niémetz, Stefan Zweig - Le Voyageur et ses mondes, Belfond, novembre 2011, 608 p. - 23,00 €

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