La "Lettre à un jeune écrivain" de Claire Delannoy aux impétrants scripteurs

Comment, d'emblée, ne pas approcher de cette Lettre à un jeune écrivain qu'adresse l'éditrice Claire Delannoy aux impétrants scripteurs par la voie magnifique de la Lettre à un jeune poète de Reiner Maria Rilke ? Bien vite, pourtant, si l'on espérait atteindre les mêmes hauteurs qu'en présence du maître, il faudra déchanter, car si Rilke met tout son amour dans l'épanouissement chez son "disciple" de son art poétique, propre à son seul génie, en abordant à la fois tous les sujets de la vie et toutes les tracasseries de la création littéraire, Claire Delannoy se pose en amoureuse des livres, des auteurs, des belles phrases, mais reste une technicienne embusquée dans son temps et happée pour les questions de poétique par la lecture quotidienne de textes plus ou moins lisibles. Lui fait donc défaut, malheureusement, ce recul nécessaire. Pourtant, la Lettre commence par une manière d'éloge de la fonction d'éditeur au sens littéraire du terme, son importance dans la vie d'un texte, pour l'épanouissement d'un auteur. Fonction un peu décalée aujourd'hui, le directeur littéraire (puisque c'est de cela qu'il s'agit) est une âme et une exigence au service des textes qu'il doit sélectionner et défendre auprès des autres services de la maison d'édition (en l'espèce, Albin Michel). Il faut reconnaître que cette introduction, plus testimoniale, est pleine d'allant et de réussite. C'est un panégérique modeste et bien venu pour la réhabilitation du métier de directeur littéraire, dont l'absence engendre de simples produits, mais qu'il aurait fallu éditer seul.

Car ce qui suit, la courte Lettre à un jeune écrivain proprement dite, qui regorge de citations à valeur exemplaire, n'est finalement qu'un petit manuel de rédaction, ou plutôt de marketting rédactionnel : présentez vous comme ci, comme ça, au point qu'on peut se demander si elle n'adresse pas cette lettre en vue de ne plus recevoir de manuscrits mal fagottés ! Elle insiste d'ailleurs sur sept points pour elle essentiels pour la bonne tenue générale des livres, gage triste mais pardonnable de son incrustation dans nos grises années ; les "sept règles d'or d'un manuscrit" (!!) sont, par ordre d'entrée en scène : le sujet, le début, l'intrigue, le point de vue, le dialogue, les personnages et l'équation sujet-auteur. Baste ! A quoi s'ajoute au fil de sa lettre le titre. Rien là dedans de scandaleux, sinon par la médiocrité du propos : à la fois en deça de la terminologie de la critique universitaire et tapant sur une grosse caisse de lieux communs, Claire Delannoy ne nous laisse découvrir que ce que nous savons déjà, bref, soi toi même et vends et vante tes mérites selon les normes en vigueur. Qui plus est, la liste des ouvrages et auteurs sur laquelle elle appuie son propos fait qu'on ne parvient pas, décidément, à la suivre. Si Amélie Nothomb a le génie des titres, ce qui est indéniable, elle prouve par chacun de ses romans que tout le reste lui est inconnu. Voilà un bel exemple.

Autre défaut, celui de vouloir trop définir et répondre à des questions d'une grande trivialité en partant de sa propre expérience. Voulant, par exemple, définir le Best-seller (car chaque auteur espère en fournir un magnifique en tendant son manuscrit), elle fait l'assimilation inattendue Best seller = classique, les ventes étant une manière d'échapper au contrôle du temps. Rien de vrai là dedans, citons par exemple Henri Bordeaux ou Thomas Corneille (le frère de Pierre), deux immenses fourbisseurs de best sellers que l'histoire, avec beaucoup d'autres, n'a pas retenu, et n'a pas intronisé en classiques. Car, faut-il le dire, la littérature n'est pas affaire de chiffre, et pour faire plaisir à Claire Delannoy qui aime les citations parfois un peu trop au point de faire avec elles beaucoup de pages de sa courte Lettre, donnons notre point de vue par le truchement d'une citation, de Paul Valery s'il vous plaît, classique qui vendait peu : "J'aime mieux être lu plusieurs fois par un seul qu'une fois par plusieurs.". 

Il reste néanmoins que, si son propos est contestable par la forme et souvent médiocre par les lieux communs qu'elle ne bouscule pas, Claire Delannoy donne un conseil socratique qu'il convient de retenir, parce qu'il fait un peu tâche (et c'est heureux) dans notre époque : être fidèle à soi même. Quand tout le monde écrit aujourd'hui à la manière de, chaque nouveau succès étant l'occasion d'une flopée de clônes, ce simple petit sourire est un geste à méditer. Rester fidèle à soi même, entendre et tâcher de faire entendre sa propre voix, son propre silence, violà le meilleur conseil, le plus efficace et le plus simple, qui pourrait seul justifier de cette Lettre à un jeune écrivain, et en faire oublier les maladresses (1).

Illustrée par ailleurs dans le roman (La Guerre, l'Amérique a reçu le Goncourt du premier roman en 2003), et reconnue par ses pairs pour son travail d'éditrice, peut-être Claire Delannoy n'est-elle pas tout à fait à son avantage dans cet exercice particulier de transmission. Sans qu'elle soit ni insipide ni ennuyeuse, cette Lettre n'apporte finalement rien d'autre que la confirmation d'un amour immodéré de son auteur pour la chose littéraire, sans autre considération de profit ou d'image, une manière de pur contentement. Ce qui est assez peu courant  pour être signalé.


Loïc Di Stefano

(1) Notons quand même le paradoxe entre le formatage et la fidélité à son propre génie, qui ne semble conciliables qu'après moult contorsions


Claire Delannoy, Lettre à un jeune écrivain, Editions du Panama, septembre 2005, 71 pages, 9 € 




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