La "Lettre à un jeune écrivain" de Claire Delannoy aux impétrants scripteurs

Car ce qui suit, la courte Lettre à un jeune écrivain proprement dite, qui regorge de citations à valeur exemplaire, n'est finalement qu'un petit manuel de rédaction, ou plutôt de marketting rédactionnel : présentez vous comme ci, comme ça, au point qu'on peut se demander si elle n'adresse pas cette lettre en vue de ne plus recevoir de manuscrits mal fagottés ! Elle insiste d'ailleurs sur sept points pour elle essentiels pour la bonne tenue générale des livres, gage triste mais pardonnable de son incrustation dans nos grises années ; les "sept règles d'or d'un manuscrit" (!!) sont, par ordre d'entrée en scène : le sujet, le début, l'intrigue, le point de vue, le dialogue, les personnages et l'équation sujet-auteur. Baste ! A quoi s'ajoute au fil de sa lettre le titre. Rien là dedans de scandaleux, sinon par la médiocrité du propos : à la fois en deça de la terminologie de la critique universitaire et tapant sur une grosse caisse de lieux communs, Claire Delannoy ne nous laisse découvrir que ce que nous savons déjà, bref, soi toi même et vends et vante tes mérites selon les normes en vigueur. Qui plus est, la liste des ouvrages et auteurs sur laquelle elle appuie son propos fait qu'on ne parvient pas, décidément, à la suivre. Si Amélie Nothomb a le génie des titres, ce qui est indéniable, elle prouve par chacun de ses romans que tout le reste lui est inconnu. Voilà un bel exemple.
Autre défaut, celui de vouloir trop définir et répondre à des questions d'une grande trivialité en partant de sa propre expérience. Voulant, par exemple, définir le Best-seller (car chaque auteur espère en fournir un magnifique en tendant son manuscrit), elle fait l'assimilation inattendue Best seller = classique, les ventes étant une manière d'échapper au contrôle du temps. Rien de vrai là dedans, citons par exemple Henri Bordeaux ou Thomas Corneille (le frère de Pierre), deux immenses fourbisseurs de best sellers que l'histoire, avec beaucoup d'autres, n'a pas retenu, et n'a pas intronisé en classiques. Car, faut-il le dire, la littérature n'est pas affaire de chiffre, et pour faire plaisir à Claire Delannoy qui aime les citations parfois un peu trop au point de faire avec elles beaucoup de pages de sa courte Lettre, donnons notre point de vue par le truchement d'une citation, de Paul Valery s'il vous plaît, classique qui vendait peu : "J'aime mieux être lu plusieurs fois par un seul qu'une fois par plusieurs.".
Il reste néanmoins que, si son propos est contestable par la forme et souvent médiocre par les lieux communs qu'elle ne bouscule pas, Claire Delannoy donne un conseil socratique qu'il convient de retenir, parce qu'il fait un peu tâche (et c'est heureux) dans notre époque : être fidèle à soi même. Quand tout le monde écrit aujourd'hui à la manière de, chaque nouveau succès étant l'occasion d'une flopée de clônes, ce simple petit sourire est un geste à méditer. Rester fidèle à soi même, entendre et tâcher de faire entendre sa propre voix, son propre silence, violà le meilleur conseil, le plus efficace et le plus simple, qui pourrait seul justifier de cette Lettre à un jeune écrivain, et en faire oublier les maladresses (1).
Illustrée par ailleurs dans le roman (La Guerre, l'Amérique a reçu le Goncourt du premier roman en 2003), et reconnue par ses pairs pour son travail d'éditrice, peut-être Claire Delannoy n'est-elle pas tout à fait à son avantage dans cet exercice particulier de transmission. Sans qu'elle soit ni insipide ni ennuyeuse, cette Lettre n'apporte finalement rien d'autre que la confirmation d'un amour immodéré de son auteur pour la chose littéraire, sans autre considération de profit ou d'image, une manière de pur contentement. Ce qui est assez peu courant pour être signalé.
Loïc Di Stefano
(1) Notons quand même le paradoxe entre le formatage et la fidélité à son propre génie, qui ne semble conciliables qu'après moult contorsions
Claire Delannoy, Lettre à un jeune écrivain, Editions du Panama, septembre 2005, 71 pages, 9 €
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