"Edition, l'envers du décor", dépoussiérage

Le livre propose une synthèse très juste sur la réalité du monde de l'édition aujourd'hui.

Ce livre a pour ambition de « dépoussiérer » l’idée que le public se fait de l’édition.

Il est vrai que l’édition garde encore aujourd’hui l’image d’une activité artisanale, un « métier de passion » où il ne faut pas s’attendre à bien gagner sa vie. Pour Martine Prosper, c’est au contraire un secteur très dynamique qui est lui aussi touché par les restructurations en cours dans l’industrie. Secrétaire du Syndicat national Livre-Édition CFDT — mais ce livre n’est pas un pamphlet militant —, elle insiste également sur l’aspect social qui demeure un des points noirs du métier.

20 ans de changement

La surconcentration qui est à la concentration ce qu’est Superman à l’homme, est le fait marquant de vingt dernières années. Deux groupes Hachette et Editis se partagent à eux deux plus du tiers du gâteau. Les groupes ont pris une envergure européenne et même mondiale dans certains cas. Pour autant, il se crée toujours de plus en plus de petites maisons d’édition. L’auteur a recensé au total 8000 entreprises qui selon elle « naissent aussi vite qu’elles disparaissent », propos qui reste à nuancer, si j’en crois mon expérience. Je travaille depuis 1998 dans le secteur et parmi mes près de cent clients aucun n’a mis jusqu’aujourd’hui la clé sous la porte. Mais, ce n’est qu’un échantillon qui n’est peut-être pas très représentatif. Je ferme la parenthèse.

Un livre est un prototype

Martine Prosper rappelle à quel point ce métier « reste une activité inventive et aléatoire dont la ressource première est humaine. […] Nul ne peut jamais garantir le succès d’un livre. » Chaque ouvrage est un prototype. Nul autre secteur de l’industrie ne fonctionne ainsi. J’ajouterais que, paradoxalement, pour une petite maison d’édition, le grand danger est peut-être d’avoir un auteur à succès. Souvent, c’est lui seul qui permet à l’entreprise de faire des bénéfices. Il arrive souvent que l’éditeur s’emballe, enfin il peut publier tous les livres qu’il a toujours voulu faire paraître, il décide de produire plus, sans succès, il rogne sa marge. Un auteur à succès attise la convoitise des grandes maisons. Le jour où il quitte la petite maison, c’en est souvent finit pour elle. Les cas d’école ne manquent pas.

L’édition compte environ 13 000 salariés. On y use et même abuse des stagiaires. Il n’est pas rare de voir des structures n’ayant que deux salariés qui tournent toute l’année avec trois stagiaires ! Les salaires y sont très bas, et comme partout ailleurs, la situation a empiré depuis dix ans. On oublie souvent le pôle distribution du métier où les conditions de travail demeurent pénibles.

L’auteur rappelle que la loi Lang sur le prix unique du livre a sans conteste permis de sauver la librairie indépendante qui demeure, malgré les difficultés et l’offensive des grands groupes pour « encombre les tuyaux » d’approvisionnement, le relais indispensable qui permet de faire se perpétuer une offre éditoriale riche et varié, qui permet même aux petits éditeurs, bien que cela soit extrêmement difficile, de trouver une place dans les rayons.

HEC plutôt que DUT

En vingt ans, l’édition a beaucoup changé et là aussi le contrôleur de gestion a pris une importance grandissante. Il est aujourd’hui beaucoup plus facile de trouver un emploi dans l’édition avec le diplôme d’une école de commerce qu’avec un DUT « métiers du livre » ou pire encore avec un Master d’édition.

Le livre donne également un aperçu très succinct de la situation en Europe et aux USA.

La révolution numérique

Enfin, Martine Propser n’oublie pas d’évoquer la révolution numérique qui est à l’œuvre avec les problèmes de droits qui en découlent et les attaques des grandes entreprises américaines célèbres sur Internet et qui se mettent à numériser sans égards pour le droit des auteurs et des éditeurs.

On mettra en doute le rapport Patino sur le livre numérique qui serait plus cher à produire qu’un livre papier. Cela est vrai pour des livres anciens publiés avant que les éditeurs et les imprimeurs ne se mettent à l’informatique. Etant donné le prix pour numériser un livre sous un format qui permet de récupérer et de retoucher le texte, il est vrai que beaucoup hésiteront à se lancer dans l’aventure de la sauvegarde de leur fonds sous forme numérisée. Cependant, les éditeurs étant aujourd’hui tous informatisés, le coût de production d’un livre au format numérique est nul (si l’on ne tient pas compte du travail de pré-presse, c'est-à-dire la mise en page, la relecture, etc., évidemment).

Un livre à recommander

Ce livre est à recommander à tout étudiant en DUT « métiers du livre », en Master d’éditions ou autres IUP ou même encore apprenti libraire. Il lui permettra d’avoir une vision synthétique et assez juste de la réalité du secteur. La charge est parfois un peu lourde et l’on a l’impression d’entendre la mise en garde de Dante : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ». C’est uniquement dans ce petit manque de nuance que l’on ressent le syndicaliste derrière l’auteur. Mais, le livre aidera à « déniaiser » le jeune postulant qui se fait de l’édition une image romantique où, croit-il encore trop souvent, l’on passe sa journée à feuilleter des manuscrits pour y dénicher la perle rare, ou l’on va de déjeuner en dîner avec les auteurs. L’édition, c’est le monde de l’entreprise, un monde qui est aussi devenu plus difficile depuis 20 ans. L’édition n’échappe pas à la règle et il est vrai que parce que le paternalisme y règne encore souvent on y bafoue plus qu’ailleurs parfois les droits sociaux.

C’est un livre qui s’adresse plus aux futurs salariés de l’édition qu’à des ambitieux un peu fous qui veulent devenir éditeurs. Car c’est un aspect qui n’est que survolé dans ce livre, celui des petits « patrons », qui représentent l’immense majorité des entreprises d’édition et qui souvent n’ont pas de salariés et sont obligés d’avoir un deuxième métier pour vivre. C’est cela aussi la réalité du livre.

Un livre à ajouter à la bibliographie conseillée que distribuent les professeurs à leurs étudiants en début d’année.


Philippe Menestret


Martine Prosper, Edition, l'envers du décor, nouvelles éditions Lignes, septembre 2009, 14 € 



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