Jacques-Emile Blanche : si vous aimez la peinture comme la littérature, la musique comme la danse, si vous voulez traverser le début du XXe siècle au

Les témoins sont souvent de second plan, leur témoignage est parfois de premier ordre.

Une copieuse, sérieuse et très lisible biographie de Jacques-Émile Blanche vient de voir le jour chez Bartillat. Si vous ne connaissez pas cet homme, si vous aimez la peinture comme la littérature, la musique comme la danse, si vous voulez traverser le début du XXe siècle au bras d’un compagnon d’esprit, savourez ces quelques pages.

On sait que l’exercice de la biographie est trop souvent l’œuvre d’un professionnel de la chose qui cherche à trouver la figure qui se vendra bien et lui rapportera le plus d’argent et d’aura possible… Il existe aussi des biographies rédigées par des hommes qui ont louvoyé pendant des années dans la vie d’un artiste et qui parviennent après de nombreuses recherches à entrer comme en symbiose, à en donner l’écho le plus fidèle possible. C’est le cas avec le travail de Georges-Paul Collet qui a presque partagé sa vie avec le peintre-écrivain Jacques-Émile Blanche, puisqu’il travaille sur cette figure depuis une trentaine d’années.

Certain pourrait craindre un travail austère et copieux… c’est au contraire un texte où le biographe échappe à la narration jour après jour, exercice pénible et souvent inintéressant – que certains n’hésitent pas à pimenter d’anecdotes plus ou moins controuvées – et donner le sentiment d’avoir parcouru l’agenda d’une vie sans rien y comprendre. Au contraire, ici nous voyons se dégager des lignes de force qui donne un sens à cette vie, tous en suivant un ordre chronologique.

Cependant, la grande familiarité de G.-P. Collet avec son sujet ne nous le rend pas étranger, il nous fait partager sa biographie quotidienne dans une société en pleine mutation de 1861 à 1942, société dont il rencontrera la plupart des grandes figures artistiques de cette longue période. De la famille du fameux docteur Blanche qui s’occupa des troubles mentaux des romantiques comme Nerval, il est dès sa jeunesse plongé dans les milieux artistiques, milieu qu’il intégrera plus ou moins, car on sent bien que ce n’est pas un homme de chapelle ; l’étendue des fréquentations qui marquent les étapes et les intérêts de sa vie le démontre : de Dujardin ou Barrès des débuts, qui l’introduisirent dans les milieux artistiques à la dernière lettre qu’il reçoit de son vieil ami Daniel Halévy. C’est ainsi qu’on croise Breton, Céline, Cocteau, Colette, Crevel, Debussy, Drieu La Rochelle, Fargue, Gide, Jacob, Joyce, Maeterlinck, Mauriac, Malraux, Moore, de Noailles, Proust, Rigault, Sartre, Valéry, Woolf pour les auteurs; Braque, Deguas, Denis, Forain, Monet, Vuillard, pour les peintres et Debussy, Fauré, Milhaud, Poulenc, Ravel, Stravinski pour les musiciens, sans parler de Nijinski ou d’Ida Rubinstein… Toutes personnes dont il fit en plus le portrait. C’est dire à quel point ce témoin eut un regard libre et intelligent.

On sait maintenant grâce à G.-P. Collet, que Jacques-Émile Blanche n’est pas seulement l’auteur de Mes Modèles, Souvenirs littéraires, que j’avoue être le seul titre que j’avais lu avec plaisir lors de sa réédition il y a une vingtaine d’années… car toute cette biographie est appuyée sur de larges extraits des œuvres littéraires, des correspondances et du journal inédit, textes qui nous donnent envie d’en lire plus.

Ils ont bien de la chance ces artistes qui rencontrent un jour celui qui va les servir plutôt que de ses servir d’eux comme tremplin. G.-P. Collet fait partie de ce club assez réservé des vrais biographes qui évitent de nous servir leur prose et leur avis sur un homme qu’ils n’ont souvent même pas connu… et son style est des plus fluide et élégant, ce qui rend son humilité vis-à-vis de son sujet encore plus grande.

Non seulement je recommande chaleureusement cette biographie à tout le monde, mais je pense qu’elle va devenir dans les années qui viennent un titre presque incontournable pour tous ceux qui aborderont la période 1880-1940, soixante ans de vie artistiques des plus denses dans laquelle Blanche va prendre désormais la place qui semble lui revenir.

Quant à moi, qui n’est pas forcément un grand admirateur de ce genre souvent décevant de la biographie, je crois avoir compris ce qui me plaisait dans celle-ci : le biographié y est plus le sujet qu’un objet de d’autosatisfaction pour le biographe… Et je me garderai bien de me fâcher avec nombre de biographes en donnant ici des noms, d’autant que je pense que mon lecteur aura bien quelques noms à mettre dans cette famille des biographes professionnels. Ce qui compte c’est surtout de pouvoir ranger dans nos rayons une vraie biographie.

Un seul petit regret, mais ici c’est se plaindre d’aise, le petit cahier iconographique aurait pu être plus fourni avec des reproductions un peu plus grandes, mais ces illustrations existent, et vu le prix très raisonnable pour un tel pavé, nous n’insisterons pas et attendrons un bel ouvrage d’art sur la peinture de Blanche… À suivre.

Stéphane Le Couëdic


Georges-Paul Collet, Jacques-Emile Blanche, Bartillat, septembre 2006, 563 pages, iconographie, index, bibliographie, 28 € 

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