"Ecrits sur l'art", la somme de Huysmans

Enfin du nouveau sur Huysmans !

Un essai copieux avec annotations en bas de page, des inédits par dizaines, une chronologie, un index nominum et une bibliographie sélective, deux cahiers de reproductions couleurs, voilà l’opus qu’on pouvait attendre concernant la vision de l’art par Huysmans.

Lorsque notre cher rédac’chef nous confie un livre, il voudrait bien recevoir sa critique dans les quelques semaines qui suivent… du moins il l’espère ! Le défi est parfois dur à relever. Ce volume est non seulement un travail très riche qu’il faut prendre le temps de lire… de plus, ces critiques couvrent des siècles d’activité artistique, et passer des salons d’art des années 1878-80 à l’examen de l’œuvre de Metsys ou de Grünewald, n’a pas la commodité linéaire d’un simple roman. C’est donc un livre de références, et comme il a été fait sérieusement, prenons le temps de le savourer, et je ne saurais d’abord conseiller au lecteur d’aller retrouver les pages concernant les artistes qu’il connaît déjà, avant de s’abandonner au fil des pages à la découverte de noms moins connus.

Huysmans fait partie de ces auteurs qui ont eu ce rare avantage d’être, partiellement, assez régulièrement disponibles en librairie depuis sa disparition ; mais depuis la publication de ses Œuvres complètes, nul n’avait fourni un livre aussi capital pour la connaissance de cet auteur initiateur et marginal de nos Lettres.

Le domaine de la critique d’art est devenu progressivement un lieu réservé à des spécialistes de l’Histoire de l’Art, et presque une chasse gardée. On voit Stendhal ou Baudelaire être critique d’art, mais on oublie qu’ils furent loin d’être les seuls à analyser les œuvres artistiques de leur contemporains – amis ou ennemis –, comme des siècles précédents. On oublie même que certains écrivains peuvent faire plus pour un peintre que des centaines d’articles autorisés… voir le cas de Vermeer ! Et Huysmans se place dans cette tradition, tout en étant peut-être l’une des dernières grandes figures littéraires du XIXe à fournir une telle densité de textes de cette nature sur l’art pictural.

L’apport des auteurs sur la peinture avant le XXe siècle est d’autant plus important que c’est bien souvent au travers de leurs yeux que leur époque pouvait accéder à l’art. De plus, les peintres n’hésitaient pas à se servir des œuvres littéraires comme support de leurs productions. Notre époque de plus en plus saturée d’images a perdu cette dimension échangiste entre la littérature et la peinture. Lorsqu’il s’agit d’un auteur comme Huysmans, on sait que l’art avait joué un rôle fondamental, et qu’il a servi d’intercesseur pour une partie de sa génération et pour une grande partie des suivantes. Et il s’agit aussi bien d’un certain art européen dit des primitifs, qu’ils soient flamands, allemands ou italiens, comme d’un art plus contemporain et moderne… et cela transparaissait dans nombre de ses écrits. Ces écrits étaient donc fondamentaux pour comprendre la complexité de l’individu. Cela ne veut pas dire qu’il faut effacer toute la critique huysmanienne avec la lecture de ces textes, mais cependant, il me semble qu’il sera difficile désormais de faire l’économie de la lecture de tels ou tels articles ici recueillis lors d’un futur examen critique de l’œuvre de Huysmans, ou d’auteurs qui furent proches de lui.

Le travail, certainement de thèse ou base d’un travail de thèse, est exhaustif. Les articles sont présentés avec l’indication de leur origine, ils sont annotés (en bas de page, ce qui est un vrai plus, vu que les éditeurs ne le font presque plus), leur publication chronologique qui mêle les articles déjà connus aux dizaines d’articles dispersés dans des revues, nous montrent aussi qu’il n’y a pas eu de centre d’intérêt mobile mais au contraire une curiosité et un éveil constant pour toutes les époques et les genres. L’ensemble est très bien indexé. Bien que l’on sente le labeur de recherche de documents et de mise en forme de l’ouvrage, Patrice Locmant n’en garde pas moins sa distance puisque les notes n’hésitent pas à signaler (et rectifier) les erreurs ou approximations du critique Huysmans.

La critique ne nous donne qu’occasionnellement de tels documents sur l’époque de la première entre-deux guerres (1870-1914), et il devrait être goûté aussi bien par les amateurs de Huysmans que par tous ceux qui s’intéresse à cette époque, car le goût de cet auteur préluda au goût de certains de ses contemporains, c’est le goût de des Esseintes mais c’est aussi le goût d’une partie de cette génération qui fut exagérément symboliste avant de revenir à des formes classiques et à des goûts plus religieux. Comprendre leur imaginaire passe par une appréhension de leur univers visuel.

Enfin les deux rabats ont été judicieusement utilisé : idée de l’auteur ou de l’éditeur qu’importe, elle est excellente. Le premier rassemble quelques citations sur les peintres qui captèrent son œil : Monet, Manet, Cézanne, Caillebotte, Degas, Forain, Gervex, Raffaëlli, Pissarro, Sisley, Nittis, Moreau, Rops, Redon, Whistler, Courbet, Delacroix, Millet, Diaz, Renoir et pour finir Grünewald, Hals, Rembrandt et Ruysdaël. Voilà un précieux compagnon de visite pour Orsay – entre autres. Le second rabat offre une liste alphabétique presque complète des quelques cent peintres que Huysmans aborde ici.

Autant dire que cet ouvrage m’a plu aussi bien dans la forme que dans le fond. Que je n’ai même pas trouvé de réserve de quelque ordre possible.

Ajoutons que vous allez y retrouver un style exceptionnel : l’art de décrire, l’art de louer, l’art de critiquer, l’art de séduire son lecteur et de l’emmener avec lui en promenade dans son musée imaginaire. Bonne visite.

Stéphane Le Couëdic


Joris-Karl Huysmans, Ecrits sur l'Art, 1867-1905, édition établiée par Patrice Locmant, Bartillat, septembre 2006, 1000 pages, 40 € 

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