"Des livres d'enfants à la littérature de jeunesse"

À la fois chercheur (auteur d'une thèse monumentale sur l'Evolution de la littérature de jeunesse) et éditeur 
jeunesse (chez Milan, pendant 10 ans), actuellement président de la commission de choix des livres pour la jeunesse auprès du Ministère de l'Education nationale, Christian Poslaniec ajoute à tout cela son amour des livres pour nous offrir cette plongée merveilleuse au rayon jeunesse.

Au commencement était l'enfant

L'enfant, comme personne, n'existe que récemment. Longtemps le bébé devenait jeune adulte sans transition, des langes et robes (pour tout le monde) aux vêtements à la manière des adultes. Il n'était pas question alors de produire un littérature à destination d'une population qui n'existait pas. La question qui se pose, quand apparaît enfin, au XVIIIe siècle, des ouvrages pour la jeunesse, si c'est l'émergence de cette littérature qui a provoqué une modification des habitudes sociétales ou, plus simplement, l'inverse. 

Le XXe siècle est celui de l'enfant roi, l'enfant monstre qui gouverne dans les foyers aussi bien que les études mercatiques. Voilà donc que toute une littérature, et la plus florissante, lui est intégralement consacrée. Qui aurait pu croire, il y a seulement quelques années, qu'un Harry Potter ferait à lui seul, disons, le tiers du chiffre d'affaires d'une maison comme Gallimard ? Mais comme pour le revival des séries télévisées des années soixante-dix — Casimir, Goldorak et les autres… —, c'est la prise de pouvoir par les ex-enfants ayant acquis leur pouvoir d'achat qui offre aussi un développement exponentiel à cette littérature. Il reste que l'excès nuisant en toute chose, c'est vers l'infantilisation que cette littérature courre à grand pas !

La littérature texte et image

Dès qu'il a été question de faire des livres pour un lectorat infantile, l'image a été partie prenante du sujet. Comment montrer mieux qu'avec une image ? Et les premiers ouvrages, issus plus de cours de morale que d'autre chose, avaient pour vocation d'être édificatoires, qu'on se reporte simplement à l'argument des Infortunes de Touche-à-Tout

Enfant, de l'un à l'autre bout, 
Ce livre, en diverses histoires, 
Vous peint les tourments, les déboires, 
De l'infortuné Touche-à-Tout. 
Voyez ici Croquemitaine, 
Qui du doigt semble l'avertir 
Voyez ses pleurs, le repentir 
Qu'il montre après chaque fredaine. 

Toujours pourtant il jurait bien 
De ne toucher jamais à rien

Qu'on ne se méprenne pas cependant, il n'y a rien de nos jours qui soit plus proche de cette littérature de leçon que tout ce qui se produit pour instruire nos enfants, des leçons de pots aux leçons de choses, quel que soit le petit personnage sympathique qui porte le message pour les enfants : apprends à être propre, aime ton prochain, fais ci ou ça, etc. Les livres pour les plus grands, disons les pré-ados, sont un peu à l'abri de cela, mais la plupart des séries pour les plus jeunes (Dora l'Exploratrice et les autres...) n'ont rien à envier à leurs ancêtres : mêmes sujets, mêmes réponses, graphismes et mots plus modernes, mais c'est la même idéologie éducatrice qui stagne…

Ce qui est remarquable, surtout, c'est que la première de toute sans doute la littérature de jeunesse a suivi les progrès de l'imprimerie, alliant les matières et les formes, les couleurs et les lettres pour former des albums inimaginables auparavant. Pareillement, les modes sont ici plus fortes qu'ailleurs, il suffit qu'un héros rencontre un succès hors norme pour qu'une foule de clones vienne à se présenter aux lecteurs, et quelle que soit la qualité des récits, le doute mercantile plane sur chacun des après-coup : Sarah Duncan aurait-elle été imaginée (même si avec beaucoup de mauvaise foi son auteur s'en défend...) sans Harry Potter ou Bibi Blobsberg ? Ce sont des genres entiers qui surgissent par vague, l'héroïque fantaisie en ce moment (Eragon, etc.) le policier, etc., au point que la question qui revient est plus celle du produit que de la littérature, au détriment de cette littérature jeunesse qui déborde largement les cadres assignés pour offrir à tous quelque chose du merveilleux indissoluble de l'enfance.

Mais Des livres d'enfants à la littérature de jeunesse n'est pas polémique, son rôle est de présenter un panorama de l'évolution du livre pour jeunes lecteurs, et il est à ce sujet parfaitement réussi. Le texte très éclairant de Christian Poslaniec donne sinon ses lettres de noblesse du moins crédite cette littérature, qui n'est pas la moindre, d'une histoire. Il était une fois… les livres pour enfants !


Loïc Di Stefano


Christian Poslanec, Des livres d'enfants à la littérature de jeunesse, Gallimard, « découvertes », série littérature n° 534, 128 pages, octobre 2008, 12,50 € 

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