Pascal Louvrier, « Sagan, Un chagrin immobile » : une femme tendre et perdue

Un roman inédit de Françoise Sagan vient donc de paraître, à ce détail près que c’est une biographie et qu’elle est signée Pascal Louvrier. C’est un buvard que cet homme. Qu’il écrive sur Brasillach ou sur Bataille, c’est avec le jus de leurs vies qu’il le fait : il raconte ses personnages mieux qu’ils ne l’auraient fait eux-mêmes. Nul n’a aussi bien représenté ce phénomène social que fut Françoise Sagan. Car elle fut cela par-dessus tout, littérature et chronique.

 

De la prime jeunesse de Françoise Quoirez à l’illumination sociale qui s’abattit sur Françoise Sagan avec le succès de Bonjour tristesse, tout est dit : la chance folle, qui est une forme perverse de la malédiction, et d’autant plus néfaste qu’elle frappe une jeune fille immature ; car à même pas dix-huit ans,  Kiki Quoirez ne sait rien de la vie ni du monde ; elle est née au succès fou au début des Trente Glorieuses, dans un pays qui ne songe qu’à oublier, à s’enrichir et à jouir, et qui traitera Dien-Bien-Phu et la fin de la guerre d’Algérie comme de mauvaises grippes dont il convient d’effacer les séquelles au plus vite. Nous nous souvenons bien de la stupeur qui paralysa d’abord les esprits au début de mai 68 : ce fut à Deauville, à moins que ce ne fût à Saint-Tropez ou en sortant au petit matin de chez Régine, qu’on apprit que des étudiants énervés s’agitaient à Nanterre ; et alors ? Il n’y avait ni crise, ni chômage (2,5 %). Vingt jours plus tard, 9 millions de grévistes, le chiffre le plus élevé de l’histoire d’Europe, signalaient l’importance de la révolte. Qu’y apprit Kiki ? « Le goût du plaisir, du bonheur, représente le seul côté cohérent de mon caractère », déclare la Cécile de Bonjour tristesse. Elle reflétait trop bien cette société qui l’avait hissée sur un piédestal.

 

Le reste de sa vie, Louvrier le rapporte fidèlement, sans jamais s’immiscer dans un commentaire qui serait trop « distancié » (c’était un mot à la mode) : la succession des amours sans amour, le désenchantement, la vie rêvée, les bagnoles qui vont très vite, la drogue, puis l’écartèlement, la maladie, les dettes et la mort, méchante et laide, pas du tout celle qu’on eût souhaitée à une femme tendre et perdue qui avait été trop fêtée. Une jeune fille de 69 ans, au regard lucide, mais au cœur adolescent, qui venait tout juste de commencer à vivre.

Excellent roman, bravo.

 

Gerald Messadié

 

Pascal Louvrier, Sagan, Un chagrin immobile, Hugo Doc, avril 201, 222 p., 17, 95 €

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