Les Enragés de la jeune littérature russe

Prenant le mot à la lettre, les jeunes auteurs russes ont appliqué à leurs œuvres la notion de glasnost, cette soit disant transparence appelée par les politiciens pour démystifier l’ogre soviétique et le renvoyer aux oubliettes de l’Histoire et ainsi reconstruire une nouvelle société civile. L’URSS en pleine réforme ? Le ton est différent quand on étudie de près ces jeunes écrivains qui dressent un bilan négatif des vingt-cinq années qui ont suivi son effondrement… Nés dans les années quatre-vingt, habités par une rage de s’appréhender le fameux hydre capitaliste tant décrié puis vanté comme l’ultime salut, ils vont bien vite déchanter. Car, de miracle, point à l’horizon si ce n’est chimères et fantasmes en tout genre propulsés par Gorbatchev pour mieux faire avaler la pilule Poutine, lequel, ne l’oublions pas, fut recruté par Boris Berezovski et intronisé par l’entourage de Eltsine, autrement dit par les meilleurs amis de l’Occident, rappelle Monique Slodzian dans son introduction.
Pour que l’analyse soit précise, il faut d’emblée mettre cartes sur table.

 

Cet essai est un voyage dans les eaux troubles de la politique et de la littérature d’où émergeront quelques plumes, celles qui vont très vite se faire le porte-voix du peuple russe. Des jeunes immunisés contre les fables de l’ultralibéralisme et qui revendiquent le droit de penser autrement le passé soviétique, de reconstituer le patrimoine culturel, moral et politique sans égard pour les tabous idéologiques imposés par l’Occident.
Se réclamant de Limonov, l’un de leurs chefs de file, Zakhar Prilépine, a fait scandale en 2012 en publiant sa Lettre à Staline, un pamphlet violemment anti-libéral. Ces écrivains (Sadoulaev, Senchine, Chargunov) s’affichent ouvertement avec l’étiquette de gauche et se réclament du national-bolchevisme, ce qui a poussé les médias dominants à tenter de les discréditer ; et l’Occident les a inscrits sur sa liste noire.

L’exemple d’Alexandre Zinoviev est édifiant : la parution de Katastroïka marqua la fin de sa carrière. Lui qui fut présenté comme le dissident prophétique en 1976 quand il publia son roman Les Hauteurs béantes (traduit dans vingt langues) et porté aux nues en 1978 avec le prix Médicis étranger pour Avenir radieux, disparu du jour au lendemain. Il fut démodé et classifié rouge-brun.

 

Il est intéressant de noter cette manie systématique que les médias dominants ont de sortir l’étiquette fasciste, ou antisémite, pour sortir du jeu tout opposant qui refuse la pensée unique. Ceux qui n’admettent pas la version officielle du 11-Septembre ou qui luttent contre l’apartheid israélien sont antisémites, ceux qui refusent le pillage des richesses russes sont fascistes. Aucune nuance, aucune pitié : soit vous êtes avec nous soit vous êtes contre nous, l’adage rappelé par Bush Jr a encore de longues années devant lui…

 

Ainsi l’ostracisme qui a frappé Zinoviev est le résultat du tabou transgressé : faire une critique raisonnée de l’histoire de l’URSS et non admettre les thèses officielles. Les nouveaux historiens israéliens furent aussi, en leur temps, voués aux gémonies… L’URSS est l’empire du Mal, il ne peut donc présenter le moindre aspect positif. La marque de l’infamie frappe alors celui qui ose dire le contraire.

 

Ce court essai s’impose donc pour qui veut avoir une vision globale et sans préjugés de la Russie actuelle car l’image d’Epinal de la perestroïka a engendré un véritable désastre, auquel l’arrogance du jugement hâtif que porte l’Occident sur le monde russe a crée un effet cloche de laquelle plus rien d’objectif ne sort. Pourtant il existe de nombreux écrivains russes (dont les portraits sont présentés en annexe), révoltés par la manière dont leur pays et leur histoire ont été bazardés.

 

François Xavier

 

Monique Slodzian, Les Enragés de la jeune littérature russe, Éditions de la Différence, coll. "essai", mai 2014, 144 p. – 16,00 €

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2 commentaires

"L’URSS est l’empire du Mal, il ne peut donc présenter le moindre aspect positif. La marque de l’infamie frappe alors celui qui ose dire le contraire."  C'est excessif sur le fond, mais surtout un peu malhonnête :
1/ l'intelligentia de gauche est bien mal placée pour s'indigner du procédé, elle qui l'a utilisé (et l'utilise encore) avec passion durant des années avec les USA (le diable incarné).
2/ C'est oublier un peu vite également que pendant toutes les années 50 et 60 et même 70, c'était exactement le constat inverse : les écrivains qui  tentaient de critiquer l'URSS et le communisme finissaient , là bas en hopital psychiatrique , et ici ostracisés par leurs confrères. Et accessoirement traités de fachos, terme -valise extrèmement pratique qui, vous avez raison sur ce point, permet désormais de diaboliser tous ceux qui ne sont pas d'accord avec vous.
Enfin, il est un peu étonnant de s'indigner que ces écrivains , qui se réclamment du "national-bolchevisme" (terme qui renvoie immanquablement , quand on n'est pas totalement inculte, au national socialisme de sinistre mémoire) soient rangés par l'opinion publique dans la catégorie "rouge-brun". Sauf à tenir des raisonnements spécieux et alambiqués, ce vocable  est l'exacte transposition colorimétrique et  politique du "national-bolchevisme".

D'accord avec Proutch. Cet article gagnerait à être singulièrement nuancé. Il faudrait commencer par la distinction entre la glasnost et la perestroika. La glasnost (transparence) fut un moment extrêmement positif de l'histoire soviétique puisque ce fut celui de la liberté : les oeuvres censurées ont été publiées et lues à grande échelle, quantité de personnes ont découvert de larges pans du passé qui avait été occulté (notamment des millions de morts, excusez du peu) et ont pu débattre de politique. Je ne crois pas que les écrivains d'aujourd'hui puissent se plaindre qu'on ait alors publié dans leur pays des écrivains interdits comme Grossmann, Akhmatova, Mandelstam, Chalamov, Soljénitsyne ou Boulgakov... ! La perestroika, en revanche, oui a été un échec total, même dans le sens que le voulait Gorbatchev, celui de reconstruire le socialisme. Ce qui restait viable de l'économie soviétique, notamment ses fleurons industriels, a été dépecé, vendu aux futurs oligarques, "prédatisé" disent les Russes par un excellent néologisme. La population pendant ce temps a été considérablement appauvrie. Mais vouloir imputer cela à la glasnost et à une prétendue relecture idéologique de l'histoire soviétique que les Occidentaux auraient imposée est un contre-sens. L'histoire soviétique, ce sont les écrivains sus-cités (et d'autres) qui ont contribué à l'écrire. Non, Staline n'a pas été un bienfaiteur pour ce pays, et si les "nazbols" n'ont que Staline à opposer aux prédateurs d'aujourd'hui, c'est triste et augure mal de l'avenir de la Russie.