Écrire après Auschwitz ?

Colette Lambrichs n’a pu se résoudre à couler une retraite méritée sous prétexte que des banquiers frileux et un propriétaire maladroit aient laissé la trésorerie des Éditions de la Différence s’enfoncer toujours plus dans le rouge carmin jusqu’à ce que la dernière goutte du sang de l’éditeur soit versé… Feu la Différence ? Qu’importe ! Voici les éditions du Canoë qui reprennent une partie du flambeau – trois mois après – dont certains projets mort-nés du fait du dépôt de bilan qui, notons-le, fut d’une rapidité hallucinante, preuve que la culture aura toujours la partie perdue face au Capital…

Cinq titres, donc, pour débuter l’aventure et lancer la maison, dont cet essai de Youssef Ishaghpour qui pointe une incohérence, une légende, ce poncif d’Adorno, tiré de son contexte, dénaturé et détourné – comme toujours – pour faire le malin dans les dîners en ville et s’offrir, aussi, matière à gloser et à se défausser. Certains l’attaquent, d’autres ironisent, se cachent derrière le paravent ; on inventa une brouille contre Celan (l’anathème le viserait !) sans jamais le lire correctement, car on aurait su que la directive d’Adorno pointait la poésie lyrique mais surtout invitait à ne jamais abandonner l’art qui signifierait s’allier à la barbarie ; mais pour cela faudrait-il encore le lire en entier…

Ce que fit Youssef Ishaghpour pour notre plus grand plaisir : il est toujours agréable de recouvrer un peu de sens et de vérité dans ce monde factice qui nous sert à longueur de temps les fadaises des politiciens ou les traits d’esprit d’illustres inconnus célébrés sur les réseaux sociaux ou la télévision. Ainsi, Adorno voulait-il préciser l’essentiel, que l’Homme, toujours, tel le Phénix, renaîtra de ses cendres, et pourra, au contraire vivre et écrire, mais avec l’impératif de ne jamais oublier : Dans leur état de non liberté, Hitler a imposé aux hommes un nouvel impératif catégorique : penser et agir en sorte que Auschwitz ne se répète pas, que rien de semblable n’arrive.

Ainsi, Adorno marche-t-il sur les pas de Kant, en soutenant donc la poésie, l’art, afin de dépasser les antinomies de la réflexion ; d’ailleurs les philosophes se sont engouffrés dans cette voie en donnant une importance essentielle à la pensée de l’art et à l’esthétique. D’autres, avec Benjamin, s’orientaient vers une dialectique de la raison, une politisation de l’esthétique au contraire d’une esthétisation de la politique qui, nous le voyons chaque jour, conduit au divertissement et aux fake news, autrement dit la propagande si prisée par les nazis…

François Xavier

Youssef Ishaghpour, Le Poncif d’Adorno – Le poème après Auschwitz, Éditions du Canoë, octobre 2018, 96 p. – 15 €

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