Patrick Beurard-Valdoye : Artaud enguirlandé

Le Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud appelle une méthode d’élaboration d’un art inédit et inouï à partir de l’expérience mnésique de la peste et ses symptômes. C'est de cette expérience que part Beurard-Valdoye pour illustrer un voyage dont la dimension fabuleuse et  par transmutation  devait servir pour Artaud à concevoir un art émancipateur.

Le poète  refoule une culture qui n’a jamais coïncidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie. Et il précise dans la préface du Théâtre et son double le vrai rôle de la culture versus ce qu'elle n'est pas mais qui souvent est identifiée pour telle : On peut commencer à tirer une idée de la culture, une idée qui est d’abord une protestation. Protestation contre le rétrécissement insensé que l’on impose à l’idée de culture en la réduisant à une sorte d’inconcevable Panthéon ; ce qui donne une idolâtrie de la culture, comme des religions idolâtres mettent leurs dieux dans leur Panthéon.
Un bateau – descendant du Grand-Saint-Antoine – et qui traverse la Manche représente  le vaisseau qui véhicule rêves et mythes. Rappelons à la suite de l'essayiste que la vie et l’histoire d’Antoine (le véritable prénom à l’état-civil et qui apparemment ne collait pas pour ses proches) sont profondément ancrées en des navires qui le mèneront vers deux arrivées opposées.

Et Patrick Beurard-Valdoye de remarquer la force particulière du voyage afin de réactivec un virus. D'un côté il y a l'échec de séjour en Irlande : perdant le contrôle Artaud est renvoyé du pays en septembre 1937 sur le paquebot Washington. Débarqué au Havre, il interné en hôpital psychiatrique durant 9 ans.  A l'inverse le voyage au Mexique l'entrainera vers une révélation provisoire et illusoire, mais révélation tout de même.
Ces deux voyages représentent le théâtre (qui) double la vie et la vie (qui) double le vrai théâtre. L'auteur y découvre selon différents pans que si notre vie manque de soufre, c’est-à-dire d’une constante magie, c’est qu’il nous plaît de regarder nos actes et de nous perdre en considérations sur les formes rêvées de nos actes, au lieu d’être poussés par eux. Néanmoins en Irlande Artaud est rattrapé par sa peste. Elle se libère en images dans sa psyché jusqu'à faire apparaître ce qui sera pris – autant à tord qu'à raison – pour ses errements et sa maladie mentale.

Patrick Beurard-Valdoye les analyse sans se vouloir L’Ange du narré – pour reprendre un des titres de ses livres. Il montre comment celui qui chercher la Vérité suprême est forcément affecté car il échappe à tout cerne, à toute limite et perd pour finir à ce que l’on appelle le Réel. L'essayiste n’hésite pas à reconsidérer ce qui est souvent proposé trop rapidement comme acquis à propos d'Artaud. Ce qui permet d'ouvrir une nouvelle fois une œuvre même si elle en n'a pas besoin. Elle reste jusque là imprenable et inassimilable.

Jean-Paul Gavard-Perret

Patrick Beurard-Valdoye, Le purgatoire irlandé d'Artaud, dessins de Jean-François Demeure, édition Au coin de la rue de l'Enfer, décembre 2019, 70 p.-, 13 €

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