Les destins croisés de Baudouin, prince héritier de Belgique et d’Albert II

Sortis à quelques semaines d’intervalle, ces deux ouvrages sont à rapprocher, d’une part parce qu’ils traitent l’un comme l’autre de l’histoire dynastique de la Belgique, d’autre part parce qu’ils croisent deux destinées qui en dépit des évidentes différences, s’apparentent sur plusieurs points. Ainsi, se complètent-ils utilement et donnent un éclairage à la fois précis et révélateur sur la royauté belge, les limites et les vertus de son pouvoir, la société locale, les forces en présence.

 

Ils sont d’autant plus intéressants pour comprendre les liens du présent avec le passé  que le roi Albert II a décidé d’abdiquer en faveur de son fils Philippe, désormais le 7ème roi des Belges. Dans chacun des volumes, un arbre généalogique permet de suivre les lignées. En juillet, Albert a évoqué dans sa dernière allocution, la capacité du pays à parvenir après des mois et des mois de crise et de conflits internes, à un « compromis constructif » qui, prenant en compte « la richesse du pluralisme », permettra de lui garder sa cohésion. Une cohésion étonnamment solide si on la mesure en termes de sentiments et de fierté nationale auprès de la plupart des Belges ; curieusement fragile, si ce sont certains politiciens qui en apprécient la valeur. Les divergences sont manifestes entre dirigeants et population et entretiennent la complexité et la relative fragilité de la situation intérieure, avec au premier rang des problèmes, les questions linguistiques qui sont délicates et l’inversion progressive des richesses productives entre la Wallonie et la Flandre, entraînant des écarts significatifs au plan socio-économique.

 

Forte de ses 10, 3 millions d’habitants, la Belgique occupe en Europe une place fondamentale, due à son rôle de carrefour de civilisations qu’elle a tenu depuis toujours. Rappelons qu’un peu plus de 54% de la population est néerlandophone, 34% francophone, 1% germanophone, Bruxelles étant une région bilingue. C’est une monarchie constitutionnelle fédéralisée en trois communautés et trois régions. Les partis politiques sont très nombreux, intervenant inégalement. En dépit des difficultés, le dernier gouvernement formé par « l’homme au nœud papillon », Elio di Rupo, parvient à maintenir entre eux des équilibres régulièrement menacés. Jusqu’à quand ? Le nouveau roi, Philippe, duc de Brabant, né en 1963, devra gagner le soutien du peuple belge, lourde tâche s’il en est.       

 

Les deux ouvrages présentent donc deux figures d’hommes qui ont marqué leur temps, l’un  certes plus discrètement, l’autre de façon évidente notamment durant la Grande guerre. Deux princes dont les destins ont été bousculés de manière imprévisible, l’un par la mort en pleine fleur de la vie, l’autre par un retournement de situation mais également causé par un décès. Les deux prénoms royaux sont les mêmes, ils se croisent dans leur rôle par suite des événements. En effet, le prince Baudouin (1869-1891), fils de Philippe, comte de Flandre et de Marie, princesse de Prusse, alors qu’il est appelé à régner un jour, cède sa place à son jeune frère Albert, qui règnera sous le nom d’Albert 1er (1875-1965), plus connu sans doute sous le nom de Roi-chevalier. Albert (né en 1934), prince de Liège, fils de Léopold III, qui ne devait en théorie pas accéder au trône, est appelé à succéder à Baudouin, son frère, mort en 1993 et qui de ce fait « endosse un costume de souverain dont il n’a jamais rêvé ».

 

Dans le premier ouvrage, l’auteur montre combien la naissance de Baudouin avait été « attendue avec impatience dans le pays. Le roi (Léopold II) a en effet perdu, quatre mois plus tôt (janvier 1869), son fils unique, le duc de Brabant, alors âgé de 9 ans. Cette mort prive la Maison de Saxe-Cobourg-Gotha de son seul héritier à la 3e génération. « Au moment même où la Belgique est l’objet de toutes les convoitises de ses voisins européens, la venue au monde d’un nouveau prince apparaît comme une garantie providentielle pour l’avenir de la dynastie belge », remarque le biographe. L’adolescence de Baudouin est encadrée et libre, studieuse. Il est « grave et sérieux ». Cependant, s’il aime son pays et « a la prétention d’être un vrai patriote », si l’action entreprise au Congo par son oncle retient son intérêt, la gestion des affaires de l’Etat ne semble pas recevoir de sa part une attention soutenue alors même que la société est traversée par de nouvelles idées chaque fois plus progressistes. De même pour la vie militaire, dont il évalue la valeur et le sens. Elle lui pèse, comme il le note en août 1890 lors des manouvres de Roulers : « On y mène tout à fait la vie de garnison, c'est-à-dire qu’on n’y fait rien d’intéressant ».

 

Parmi d’autres, une photo montre Baudouin en uniforme, élégant, souriant et jeune à côté des camarades dont il est le chef. Baudouin appelé à être héritier de la couronne à la suite de Léopold II, est un jeune homme préparé, intelligent, fin, assez bon cavalier. Il s’intéresse à son futur peuple, visite son pays, se soucie du sort des ouvriers, apprend le flamand, accomplit une excellente formation militaire, veut donner l’exemple à la jeunesse belge. Quand sa santé, depuis longtemps fragile, se détériore, il fait montre de beaucoup de courage. Mais son destin est écrit et celui du pays va dès lors s’orienter différemment. Jeune, il semble que Baudouin l’a été toute son existence ! Jeune face aux problèmes sociaux qui agitent déjà la Belgique, jeune parmi les officiers qu’il doit commander, « trop jeune » comme il le dit pour se marier, jeune en somme pour assumer les responsabilités qu’implique la gestion d’un royaume, trop jeune enfin pour la maladie qui va le condamner à mort, à 21 ans. Dès l’annonce de sa mort, la presse belge s’interroge. Selon ses tendances et les courants d’opinion auxquels elle s’adresse, elle défend ou attaque la mémoire du prince défunt. Elle est à cet égard le reflet des tensions récurrentes et radicales qui fracturent la Belgique, au-delà même des oppositions très visibles entre Wallons et Flamands.

 

Cette « fin de la Belgique » souvent annoncée et peut-être souhaitée par les plus ardents séparatistes, n’est pas le souhait de la plupart des habitants du royaume. Il y a chez eux une capacité à surmonter les crises aussi durables soient-elles, qui permet de douter que la Belgique, au demeurant accueillant les institutions européennes qui constituent un élément majeur de son action, soit au bord de l’explosion. Quel serait dès lors son futur ? Si un autre livre paru l’an dernier a fait état d’un certain nombre de problèmes au sein de la famille royale, ces « insinuations » ont été démenties et jugées sans fondement, l’auteur n’ayant pas eu accès à des témoignages suffisamment probants pour les étayer.

 

Les pages consacrées à Albert II dans le second ouvrage méritent en revanche leur crédit, même si l’auteur ne cache pas une admiration sans faille pour le souverain. Dans un style simple, il met en parallèle l’homme et le roi, l’un dans son quotidien de prince qui remplit ses obligations mais se reconnaît bon vivant, l’autre appelé soudainement à monter sur le trône, à affronter une série de crises et à être « un roi fédéral ». Enfance que les drames n’épargnent pas, mariage un an avant l’indépendance du Congo, chargé d’accomplir la mission de représentant économique de la Belgique à l’étranger, turbulences personnelles, Albert fait face aux événements avec courage, attention et recul, toujours avec un réel talent de conciliateur. Les photos valorisent avec beaucoup de justesse et de charme cette existence prise entre honneurs et obligations officielles, joies et tourments privés.

 

La double lecture de ces deux livres trouve sa justification dans l’actualité qui se déroule chez nos voisins. Philippe a prêté serment le 21 juillet 2013. Si la monarchie se voit appliquer de nouvelles règles de fonctionnement, l’institution pour le moment est préservée. Le changement de règne, qui se fait à la fois avec dignité et simplicité, est comme le gage de ce que les Belges attendent et souhaitent, la concorde.

 

Dominique Vergnon    

 

Damien Bilteryst, Le prince Baudouin, frère du Roi-Chevalier, 336 pages, 16cm x 24cm,  22,95 euros, avril 2013, édition Racine

Patrick Weber, Albert II, le roi et l’homme, 144 pages, 24cm x 28cm, 24,95 euros, juillet 2013, édition Racine

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