Un bouquet d'Immortels pour Jean Cau

Quand, en 1989, Jean Cau introduit sa candidature à l’Académie française, il ignore encore la hauteur à laquelle sont placées les fourches caudines sous lesquelles il lui faudra passer. On le devine aisément, courber l’échine n’était pas l’exercice de gymnastique favori de ce non-conformiste impénitent qui avouait n’avoir consacré sa vie qu’à trois passions : la Littérature, les Femmes et la Tauromachie. Pourtant, le voilà amené à devoir se soumettre à la simagrée des courbettes face à trente-sept potentats tout de vert vêtus qui devront statuer si, oui ou non, il est digne de poser son postérieur sur le fauteuil qu’Edgar Faure usa avant lui.

 

Première étape : la révérence épistolaire. Il s’agit d’envoyer un courrier personnalisé à chacun de ces fameux Immortels dont on n’a pas lu le tiers du quart des œuvres ou dont on ignore à peu près tout de la carrière dans les armes, en chirurgie ou sous les mers. Vient ensuite le rituel hautement stratégique de la visite à domicile, qui nécessite d’avoir bien assimilé les susceptibilités, les tendances idéologiques, les goûts et les inimitiés de l’hôte prestigieux pour être sûr de ne pas le froisser et, surtout, d’acquérir son suffrage. Une épreuve au cours de laquelle l’examinateur s’épanche plus que l’impétrant, notamment pour faire descendre des cieux des vérités aussi ultimes que « Untel est une fripouille » ou « Madame Edmonde vous a dans le nez depuis ce que vous avez osé écrire à propos d’Aragon. »

 

On imagine la galerie de portraits à la pointe sèche à laquelle donne lieu ce défilé. Cau ose à l’égard de la Coupole ce que Daumier s’attacha à réaliser jadis à travers ses bustes de Parlementaires : il croque les mines butées, les sourires de biais, les moues réticentes, les sourcils méprisants, bref les ridicules innombrables d’une faune tout infatuée du rôle éternel qu’elle se croit investie de jouer pour la survie de la Francophonie.   

 

Le style de Cau est délectable, ne fût-ce que par la franchise absolue qui s’y déploie. De l’acidité générale, la tendresse, l’empathie, voire le coup de chapeau bas, ne sont cependant pas exclus. Il en va ainsi pour Henri Troyat, René Huyghe ou Jacques Laurent. Les autres s’en ramassent plein le bicorne, en particulier Poirot-Delpech, le perpétuel raté de l’histoire de France, à propos duquel Cau a ces mots définitifs : « Il eût voulu être acteur et témoin, il n’est que voiture-balai. »

 

Il faut donc rendre grâce aux quinze Assis qui marquèrent leur refus de voir l’auteur du Pape est mort les rejoindre. Une croix noire de moins sur un bulletin, et sans doute eussions-nous été privés à jamais de ce pamphlet au tour volontiers farcesque qui, d’une chiquenaude, vient décoiffer la Vieille Dame. Nous l’avons – comme Jean Cau d’ailleurs – échappé belle !

 

Frédéric SAENEN

 

Jean CAU, Le Candidat, Éditions Xenia, 100 pp., 2008.

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