Sade contre Dieu, tout contre…

Dans le sillage de Sade moraliste, publié chez Droz en 2005, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer poursuit son exploration de l’œuvre de Sade et la déconstruction du mythe dont elle s’est nimbée au fil des temps.

Que n’a-t-on déjà écrit à propos de l’athéisme forcené dont fit étalage le Divin Marquis tout au long de son existence ? Ses romans constituent sans doute l’un des plus longs blasphèmes jamais proféré dans l’histoire de la littérature. Jeangène Vilmer a examiné de plus près cette image d’Épinal du libertin injuriant, poing au ciel et bave aux lèvres, son soi-disant Créateur. Et sa conclusion réserve une surprise : Sade s’oppose finalement moins à la religion qu’il ne s’y arc-boute, afin d’en livrer une critique certes puissante, mais informée et, à certains égards même, tolérante !

À relire la biographie et la production de Sade, l’on mesure à quel point sa curiosité envers le fait religieux dans son ensemble était vaste. Il envisageait en effet la religion en esprit rationnel. S’il a peu voyagé afin de constater de visu les ravages de ce qu’il prétend dénoncer, il a par contre énormément lu sur le sujet (qu’il s’agisse des textes fondateurs, des exégèses ou de récits dépeignant les pratiques cultuelles d’autres civilisations). Qu’en retire-t-il ? Que ce n’est pas tant Dieu qui est à accuser que la façon dont les hommes imposent le respect de leur idole. L’athéisme sadien se veut donc plutôt un « antiecclésisme » radical, et sa mise en scène de la cruauté impitoyable une caricature du pouvoir.

Jeangène Vilmer articule les données biographiques à deux thèmes directeurs : la théologie (soit les dogmes, les sacrements, la foi et le sacré envisagé à l’aune du philosophe) et les mœurs (à travers la morale, le sexe, la politique, etc.). Cette approche, nourrie à la fois des textes littéraires mais aussi de la correspondance ou d’écrits mineurs, atteste à nouveau de la connaissance mobile et détaillée qu’à notre jeune chercheur de son sujet. Elle en offre aussi une analyse complète et novatrice, dépassant tout simplisme. Seul le laconisme d’une mention à l’abbé Meslier est à déplorer, car l’influence de cette figure aurait sans doute mérité d’être fouillée. Les dernières pages sont quant à elles salutaires : s’inscrivant dans l’actualité la plus immédiate de la réception du Marquis, elles écorniflent son image figée dans la pose du sataniste par une critique avide de sensation.

Jeangène Vilmer nous rapporte l’anecdote selon laquelle le Docteur Ramon, féru de phrénologie, aurait conclu de son examen des restes de l’auteur de Juliette : « Son crâne était en tous points semblables à celui d’un Père de l´Église. » Un fameux pied de nez à la postérité, que cet essai vient brillamment confirmer.

 

Frédéric SAENEN

 

Jean-Baptiste JEANGÈNE-VILMER, La Religion de Sade, Éditions de l’Atelier, 180 pp., 2008.

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