Redécouverte d’un cinéaste perdu : « Un florilège de Joseph Losey » de Denitza Bantcheva

Denitza Bantcheva, à qui l’on doit déjà, Jean-Pierre Melville : de l’oeuvre à l’homme et René Clément fait paraître une nouvelle monographie, consacrée cette fois à Joseph Losey. Comme précédemment, le livre présente la griffe stylistique et intellectuelle de la romancière remarquable à qui l’on doit par ailleurs des fictions aussi appréciables que La Traversée des Alpes, À la rigueur ou Feu de Sarments. Son Florilège de Joseph Losey paraît l’année du trentième anniversaire de la disparition du cinéaste et l’on ne saurait trop louer les Éditions du Revif pour cette initiative dans la mesure où c’est le seul hommage qui sera rendu en France à Losey, dont la réputation mondiale est née précisément dans notre pays.

          Depuis les années 60, les ouvrages de Christian Ledieu et Pierre Rissient étaient restés les seules études critiques accessibles en français, jusqu’en l’an 2000 où parut L’Univers de Joseph Losey, ouvrage collectif de la collection CinémAction, justement dirigé par Denitza Bantcheva. Entre-temps, l’irremplaçable recueil d’entretiens, Le Livre de Losey, par Michel Ciment, avait connu de nombreuses éditions, mais il manquait toujours une monographie développée et approfondie sur l’oeuvre mature du cinéaste (en Grande-Bretagne, il en existe plusieurs ; en France, pas une seule jusqu’au présent ouvrage).

          Que contient donc ce Florilège ? Une sélection de films choisis par Denitza Bantcheva selon trois critères : l’innovation formelle, la complexité du contenu et les préférences et les affinités personnelles de l’auteur. Au final, cela couvre environ un tiers de la filmographie de Losey, soit onze films allant de Gipsy à Don Giovanni.

          Parmi ces films, retenons trois analyses particulièrement enthousiasmantes. Celle de Gipsy pour commencer, qui est la première à ma connaissance à mettre en valeur l’originalité foncière d’un film méconnu qui a très bien résisté au temps. Ensuite, la section consacrée à Cérémonie secrète, d’une finesse d’analyse exceptionnelle, met remarquablement en valeur la subtilité psychologique du film. Enfin, j’ai particulièrement apprécié le chapitre consacré à L’Assassinat de Trotsky (disponible en DVD, précipitez-vous, je viens de le voir, stimulé par cette lecture et je suis encore retourné), un film qui a le mérite de tenir un discours complètement désabusé sur les utopies du XX° siècle et de traiter un fait-divers d’un point de vue universel, tout en offrant une grande intensité dramatique et émotionnelle.

          La seconde partie du livre de Denitza Bantcheva est consacrée aux témoignages de collaborateurs de Losey. Parmi les entretiens, privilégiez celui d’Alain Delon, à la fois interprète, producteur et ami du cinéaste : il contient des informations inédites de première importance. Ruggero Raimondi offre également un témoignage passionnant, fait d’observations très vivantes sur le tournage de Don Giovanni. Enfin, mention spéciale à Pierre-William Glenn, dont les propos nous renseignent de façon très complète sur la façon de travailler de Losey, avec les acteurs comme avec les techniciens.

          Voilà un livre de cinéma qui se lit comme de la littérature, qu’on connaisse ou non les films de Losey. Le niveau de réflexion et de problématique est en lui-même passionnant et enrichissant, indépendamment de la qualité des oeuvres commentées.


André Donte

 

 

Denitza Bantcheva, Un florilège de Joseph Losey, coll. « Cinéma », Éditions du Revif, mars 2014, 314 pages, 20 euros    

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1 commentaire

Au sujet de Joseph Losey, j'ai vu récemment the big night, avec John Barrymore jr: très étonnant, surtout l'interprétation de ce dernier qui annonce le personnage de James Dean dans la fureur de vivre de Nicholas Ray.