Guy Darol ou la triple référence : Zappa, les Outsiders et Mai 68.

La démultiplication n'est pas nouvelle pour Guy Darol. Depuis toujours, il est plusieurs. C'est la marque de sa fidélité. Et pour être fidèle à soi-même il faut être fidèle à ceux qu'on aime. Jusqu'au bout. Depuis le début. Jusqu'à la fin. Fidèle à Zappa, fidèle aux Outsiders, fidèle à Mai 68.


Outsiders : A côté du Dehors ou Mille-Plateaux musicaux.


Le pavé de ces 80 francs-tireurs du rock et de ses environs seront une indigestion pour les amateurs du showbiz et leurs flagorneries. Mais ce même pavé de bourgeons et de mauvaises intentions fera les délices des révoltés qui ont raison. Ils retrouveront leurs potes. Ils pourront en (re)découvrir un peu moins de 80 (On supposera que l'on en « connaît » au moins un). Zappa n'est pas zappé pour autant (cf the GTO'S) : il rôde, il traverse les 80 splendides partitions littéraires de Darol.

Tout pavé est travail de titan. Quand le travail est passion, l'horizon des géants dévoile la plage où il fait bon vivre.


Syd Barrett est devenu une légende. Cela tient peut-être au génie de Pink Floyd. Mais qui se souvient des 79 autres ? Ils étaient à côté, ils vivaient au dehors. Pardon, ils SONT à côté, et ils vivent toujours ICI. Guy Darol a la mémoire de Clio, toute internelle. Il redonne vie aux grands vivants de la musique, aux découvreurs de mélodies, aux inventeurs de rythmes, aux prométhées du son, aux expérimentateurs de nouveaux modes de vie et d'art musical – ainsi Richard Pinhas musicien-philosophe et philosophe-musicien.


Chaque partition est un feu d'artifices en soi (ne serait-ce que pour les références musicales en fin de chaque plateau).


Un exemple, pris au hasard : Jackie Leven (Alan Moffat) et le groupe Doll By Doll. Une vie anti-pub. Jeune il signa un contrat avec Nick Mobs (futur producteur des Sex Pistols). Le groupe se délite, Leven boit et se pique. Disciple déclaré d'Antonin Artaud, il jouera dans les prisons et les hôpitaux. Après une longue pause, il sort en 1994 un grand opus inspiré d'Oscar Wilde : The mystery of love is greatar than the mystery of death... ( extrait ici crazy song http://www.youtube.com/watch?v=G2ANBI6p_HA )


Guy Darol note justement : « Le choix des climats sonores était toujours très audacieux car il avait réalisé la fusion du blues celtique et de la musique concrète, et sa voix avait des accents de soul hiératique... »


(écouter ici Remember, 1979 « ce premier album fut accueilli comme s'il n'avait existé... »:

http://www.youtube.com/watch?v=u5WN1iKEEUw )

Autre exemple, tragi-comique : Napoléon XIV... Jerry Samuels, puis Jerry Sims, puis Napoléon XIV. Il chante la tristesse de la mort de son chien mais le public croit qu'il traite sa femme de chienne galeuse. Il tutoie une gloire qui se mute aussitôt en brouillard. On exhume sa musique dans les années 80. En 1996 Jerry (qui dirige une entreprise de divertissements) résume «  Je suis probablement l'artiste le plus célèbre dans tous les hôpitaux psychiatriques de Philadelphie et de la vallée du Delaware. »


(écouter ici They're coming to take me away, Ha-haaa ! 1966

http://www.youtube.com/watch?v=l-lJZiqZaGA )

Un son proche de Zappa que l'on peut considérer comme précurseur du Rap le plus contemporain.


Abécédaire, bible, ces 80 plateaux peuvent se lire de la première à la dernière page, être emportés sur une île déserte, égrener ses séquences, se voir piochés à un ou à plusieurs, être piratés, caressés ou pillés. Qu'importe. Ils ont existé. Il ont fait. « Ces occultes pourraient bien devenir cultes » dit L'éditeur. Ils sont toujours là. Ils s'appellent :


Hasil Adkins, Willie “Loco” Alexander, Daevid Allen, GG Allin, David Arvedon, Ed Askew, Kevin Ayers, Syd Barrett, Beau, Bobby Beausoleil, BJ Snowden, Sean Bonniwell, George Brigman, Arthur Brown, Tim Buckley, Randy Burns, Joseph Byrd, Eddie Callahan, Captain Beefheart, Eugene Chadbourne, Roger Chapman, Alex Chilton, Vincent Crane, Debris, Karen Dalton, Roky Erickson, Merrell Fankhauser, Mick Farren, Luke Faust, Bill Fay, Simon Finn, Kim Fowley, Jackson C. Franck, The Godz, Nick Gravenites, Peter Grundzien, GTO’s, Bruce Haack, Bruce Hampton, Dan Hicks, Gary Higgins, Kenneth Higney, D.R. Hooker, Michael Hurley, Bobby Jameson, Jandek, Wizz Jones, Bruce Joyner, Alain Kan, The Legendary Stardust Cowboy, Jackie Leven, Screaming Lord Sutch, Albert Marcoeur, Joe Meek, Moondog, Harvey Matusow, Big Boy Pete, The Monks, R. Stevie Moore, Napoleon XIV, John Jacob Niles, Richard Pinhas, Ramon Pipin, Tom Rapp, The Residents, Stan Ridgway, Ed Sanders, Sky Saxon, The Shaggs, Skip Spence, Peter Stampfel, Vivian Stanshall, Shooby Taylor, Jan Terri, Tiny Tim, Dan Treacy, Bobb Trimble, Wild Man Fischer, Roger Wootton, Ya Ho Wha 13.

« Dans ce temps où la réussite est devenue mot d'ordre, les Outsiders apportent une respiration salubre. » dit bien Guy Darol dans sa préface.


Autre respiration :


Guerrier sans poudre : le Grand Roman authentique de 68


On a beaucoup glosé 

sur 68. Deleuze et Guattari pourtant l'ont signalé : « Bizarrement, de Gaulle et même Pompidou comprirent (68) beaucoup plus que les autres... »

Guy Darol met en scène Axel. Axel est une mise à distance sans doute impliquée, mais bast. On est ici dans un voyage au centre des périphéries. Et l'on n'est pas dans l'autofiction dégoulinante à la mode, et l'on n'est pas dans l'autobiographie autoproclamée et déversée à qui mieux mieux. On n'est dans la discrétion. Directement dans le discret. Dans le strié. Dans les creux et sur les vagues de Mai 68 et tout ce qui tourne autour en prenant les tangentes les plus improbables.


Certains ont pu croire 1000 plateaux comme Le Livre de 68 (sectateurs ou détracteurs au demeurant ). Mais Deleuze et Guattari étaient déjà ailleurs. De même, il y a des chances pour que Guerrier sans poudre devienne Le Roman de 68. Mais Guy Darol est déjà ailleurs. Il est poète, fin et grand poète.


P 121 : «  Délirer le monde ne le transforme pas » J'attrapais la main d'Echidna. Il m'arracha vers le couloir.

- Axel, tu n'es pas à ta place. Il ne s'agit pas de se bricoler une existence mais de fabriquer un autre monde... »


Plus que roman initiatique, au delà du récit soixante-huitard, très loin des logorrhées égotistes, l'histoire d'Axel touche et fait mouche. L'histoire minutieuse de l'apprentissage de la vie déborde l'époque. Ce livre, écrit au passé, exprime tous les présents. Trop de livres nous éloigne de la vie, la rendant amère sitôt le livre fermé. Ici, Guerrier sans poudre, fermé, ne sera pas rangé dans la bibliothèque-cimetière. Guerrier sans poudre ne dérange pas, c'est une monade nomade, et pour longtemps.


Guy Darol ? Une triple référence : pour Zappa, pour les outsiders, et pour Mai 68.


« Et il cligne de l’œil. »


Didier Bazy


Outsiders. 80 francs-tireurs du rock et de ses environs. 2014 Castor Astral, "Castor Music", 450 pages, 24 €


Guerriers sans poudre , 2014 Editions Maurice Nadeau 235 p, 15 €


Journaliste à Muziq et à Jazz Magazine Jazzman, Guy Darol a collaboré à Libération puis au Magazine Littéraire. Auteur d'une dizaine d'ouvrages (roman, essai, dictionnaire, chronique, poésie), il a écrit plusieurs livres sur Frank Zappa et des études sur André Hardellet et Joseph Delteil.

"Héros de papier" (Le Castor Astral) est une chronique sur son enfance parisienne et bretonne. Il y raconte son accès à la littérature par la lecture des Albums du Père Castor et des petits formats (Akim, Blek le Roc, Mandrake...).

"Guerrier sans poudre", son troisième roman, a été publié aux Editions Maurice Nadeau en juin 2014.

"Outsiders/80 francs-tireurs du rock et de ses environs" (Le Castor Astral) est une collection de portraits portant sur des précurseurs de courants musicaux, de tendances, de formes et de styles.

Son site    http://www.guydarol.fr

témoigne de sa passion pour la littérature et la musique. 


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