La situation linguistique en Tunisie : Entre souci d'authentification et désir d'ouverture


    Suite aux soulèvements populaires et spontanés survenus en Tunisie en 2011, provoqués par un ras le bol d'un peuple réduit au silence pendant plus de vingt ans, les tunisiens se retrouvent aujourd'hui dans un contexte électoral où ils sont contraints de passer des protestations à la nécessité de reconstruire un pays sur de nouvelles valeurs. Comme de Gaulle avait « une certaine idée de la France » a l'aube d'une France libérée, chaque tunisien et nouveau parti politique a aujourd'hui une certaine idée de la Tunisie qu'il veut défendre et réaliser, mais la nouvelle Tunisie n'est pas une et son identité est multiple. Suite à la fuite de Ben Ali et à la fin de la dictature, le peuple est sorti de son mutisme face à un système totalitaire qui réprimait les différences et étouffait la liberté d'expression. L'éclatement de ce régime a pour conséquences l'apparition de nouvelles revendications et la diversification des voix tunisiennes. Mais ce souffle de liberté est suivi d'une profonde inquiétude sur le sort de la Tunisie. Cette préoccupation pour la future identité du pays est d'autant plus inquiétante lorsque nous voyons l'évolution et l'issue tragique des soulèvements des autres pays arabes tels que l'Egypte, la Libye ou encore la Syrie ou les différences deviennent un obstacle dangereux et non pas l'occasion d'un nouveau débat national. Cet enjeu identitaire et culturel est alors au centre du débat transitionnel et la langue est parfois le vecteur des divergences d'opinions et du projet futur que chacun souhaite adopter pour la Tunisie. En effet, la restructuration du pays passe aussi par la remise en question des enjeux politiques de la langue et l'utilisation de celle-ci comme une arme pour défendre une culture et l'idée que nous nous faisons de notre pays.

            Quel est alors l'impact des soulèvements populaires sur la situation linguistique en Tunisie ?

            Ce surgissement des revendications plurielles (que ce soit dans la rue ou dans les différents médias) à l'aube de cette nouvelle démocratie s'accompagne de clivages et d'orientations politiques dont la langue est l'indicateur dans un tel contexte de renouveau.

 

 

     Les protestations populaires contre le régime de Ben Ali sont le reflet de la diversité qui existe en Tunisie. Pour une première fois, le peuple tunisien sort dans les rues en s'affirmant, dressant son propre portrait. Cette foule qui a inondée les rues de toutes les villes tunisiennes a fait le visage de la Tunisie nouvelle unie mais très variée. Le premier indicatif de cette pluralité est la présence des différentes langues dans cette frénésie révolutionnaire qui a donné naissance à d'innombrables symboles. Dans cette animosité et spontanéité, la langue du peuple et de la révolution n'a pas été que l'arabe mais aussi le français et l'anglais. Le mot phare de la révolution est un mot français : « Dégage ! ». Cet impératif, synonyme de l'exaspération d'un peuple qui s'émancipe, a marqué les révoltes et a été scande par toutes les générations. Il est le symbole d'un peuple qui s'éveille et qui fait face au pouvoir en éradiquant toute hiérarchie. Le pouvoir devient le peuple lui-même.

Il existe une photographie où l'on voit que parmi les drapeaux tunisiens, est érigée une pancarte rédigée en français : « Dégage je m'engage ». Le français en Tunisie possède le statut de langue vivante étrangère privilégiée. Même si l'organisation internationale de la francophonie (OIF) compte 30 % de francophones réels et 40 % de francophones occasionnels, le français est enseigne depuis la maternelle et les matières scientifiques sont enseignées en français à partir du collège. De plus, la langue tunisienne comporte de nombreux emprunts du français, utilise des mixages franco-arabes ou se réapproprie parfois le français en reprenant par exemple un verbe en français et le conjuguant en tunisien. Souvent les emprunts de vocabulaire, mots ou expressions, comblent un vide lexical. Le français est donc une langue qui a un poids considérable dans la culture tunisienne, notamment au vu de son Histoire et de son passé colonial. Le français est également considéré dans la société tunisienne comme un acquis prestigieux qui traduit une certaine position sociale ou culturelle et qui peut faciliter l'entrée dans le marché du travail... Ceci rejoint la définition que propose L.Dabene de la langue seconde : « La maitrise d’une langue dotée d’un certain prestige représentera, pour l’individu, un bien appréciable, dans la mesure où il la considérera comme un atout pour son image et sa position sociale, et où il en attendra des bénéfices pour une éventuelle progression. » Cette omniprésence de la langue française dans la foule insurgée est, de ce fait, le reflet de l'implantation du français en Tunisie. Outre cela, les valeurs humanistes que véhiculent la langue française sont propices à ce contexte de renouveau et se sont manifestées dans ces symboles d'engagement civique pour reprendre le slogan de la photographie sur laquelle on peut lire : « Dégage je m'engage ». La révolution française a notamment été citée a plusieurs reprises dans des plateaux de télévision tunisiens. Un célèbre photomontage a sillonné le web réalisé à partir de l'œuvre du peintre français Eugène Delacroix, « la liberté guidant le peuple » remplaçant le drapeau français par celui du tunisien.

Cette culture de la révolte, qui est intrinsèquement attachée a l'Histoire de la France à travers la révolution de 1789 ou encore la Commune de Paris, est ainsi redécouverte et redéployée par les tunisiens qui se réapproprie cette culture et par la même sa langue. Par ailleurs, ce recours à une langue étrangère au pays relève d'un désir d'ouverture et d'une volonté de faire entendre ses revendications à une échelle internationale. Mis à part le français, l'anglais a aussi été présent. Des inscriptions telles que « Game over » ou « Freedom » ont orné les murs des villes et ont été brandi par les protestants. Le fait même de se référer à des cultures étrangères et d'utiliser plusieurs langues paraît comme une ouverture soudaine et avide au monde, une affirmation d'un peuple qui se veut l'exemple à suivre et l'illustration de la liberté. Le peuple tunisien jouissait d'une fierté face à la reconnaissance internationale de cet exploit que la presse étrangère s'est empressée de nommer« Le printemps arabe », « The arab spring ».

Quant à l'arabe littéral et dialectal, il a permis de scander les revendications du peuple et de réclamer ses nouvelles exigences. L'arabe a servi d'outil d'unification pour contrer l'oppresseur. Les langues étrangères ont surtout contribue à avoir un impact visuel afin que les médias voient plus qu'ils n'entendent ces interpellations a la communauté internationale et qu'ils soient les témoins de cette prouesse historique.

La rue tunisienne a été par conséquent le principal champ d'expression du peuple et ou se sont mêlées ces différentes langues.

 

La télévision a été pendant les révoltes un laboratoire de cette diversité linguistique et joue jusqu'à aujourd'hui un rôle primordial pour la liberté d'expression. La nouveauté de cette télévision est l'évocation et l'analyse de sujets politiques sans les contraintes et l'intimidation qu'imposait la censure. Le mélange de l'arabe littéral, dialectal et le français est latent. En effet, quelques chroniqueurs comme par exemple Maya Ksouri sont formes en France et intègrent parfois à leur discours des mots ou des phrases en langue française pour souvent évoquer des mots techniques ou expressions proprement françaises. Les invites mélangent aussi ces trois langues. Par contre, au début des révoltes et de la radicalisation du discours religieux, ceux qui adoptent la langue arabe littérale pour s'exprimer, sont dans la plupart des cas dans une vision protectionniste de la langue et sont hostiles à l'intrusion du français pour des raisons idéologiques. Aujourd'hui, l'échiquier politique a changé la donne et certains de ces discours se montrent plus ouvert et tente de s'adapter en donnant une image plus moderne avec un recours au français. Le 10 décembre 2014, un cadre du parti islamiste d'Ennahdha Samir Dilou, est invite sur le plateau de Klem ennes, une émission diffusée sur la chaine tunisienne Ettounsia, et réagit aux chroniques de celle qui incarne le symbole de la modernité, Maya Ksouri, en formulant ses réponses avec l'hybridation de la langue arabe et la langue française. Il va aussi jusqu'à citer Marivaux : « bien écouter, c'est presque répondre ». Cette démarche est notamment un moyen de se démarquer des plus radicaux et d'être accepte dans l'échiquier politique en tant que parti politique a part entière, ouvert et démocratique. C'est une tentative diplomatique pour défendre la légitimité d'Ennahdha à diriger le pays sans céder à une hostilité propre à des idéologies radicales.

La radio a également changé de politique. Mosaïque FM (radio privée) a été la première à permettre aux jeunes animateurs de parler le dialecte, ponctue d’expressions en français. «La logique était de se rapprocher des gens, de rompre avec la langue de bois des politiques. Le dialecte était aussi la langue de la pub, celle qui faisait vendre ; beaucoup de publicitaires ont suivi Mosaïque», explique Myriam Achour Kallel, anthropologue qui étudie les nouveaux usages de la derja à  l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain.

A ce support médiatique s'ajoute les réseaux sociaux qui ont participé à alimenter cette exaltation révolutionnaire, à organiser les protestations et à commenter le cours du renversement. Des mots jusque-là inconnus des tunisiens font leur apparition comme le mot issu de l'anglais sit-in, ou des mots qui introduisent de nouvelles fonctions comme blogueur et de nouvelles orientations politiques tels que salafiste, 3elmeni (=laïque)...Le contournement des médias traditionnels a permis d'instituer un nouveau vocabulaire. La diversité linguistique s'est ainsi cristallisée dans les réseaux sociaux ou sont mélanges l'alphabet arabe et français. L'arabe dialectal est souvent transcrit dans l'alphabet français avec le remplacement des prononciations propres à l'arabe par des chiffres. L'utilisation des chiffres est une transcription phonétique des sons propres à l'arabe et n'ayant pas de possibilité d'assimilation avec des lettres de l'alphabet français. On retrouve aussi la présence de l'arabe littéral. Nombreuses sont les pages Facebook entièrement rédigées en arabe littéral. Certes, ce choix n'est pas dénué d'orientation politique même si sa manifestation a aussi été le fruit de revendications spontanées. Parmi les slogans les plus frappants, on peut noter : « cho8l 7orria karama wataneyya » qui signifie : « travail liberté dignité nationale ». Il est dit en arabe littéral et il a été scande sans considérations politiques mais avec une portée sociale. Par ailleurs, ceux qui justifient le choix de cette langue ont des considérations politiques et religieuses puisque l'arabe littéral est tout d'abord la langue coranique. Pour l'expansion de ce modèle politique, internet est utilisé comme un moyen et une plateforme de diffusion. Des vidéos et des chants religieux (=Anasheed) sont publiés pour manipuler un peuple en quête d'identité dans une période transitoire instable.

                   

     Une langue est de ce fait le vecteur de revendications plurielles. Nous constatons de même que le choix d'une langue n'est souvent pas neutre. Comme il peut relever d'une volonté d'ouverture et d'exposition à une échelle internationale, il permet aussi d'affirmer une identité, de se rallier à une culture ou à une idéologie politique et de traduire un désir d'authentification. Dans ce contexte de renouveau, le choix de la langue que décide d'adopter le peuple est décisif pour la reconstruction de la nouvelle Tunisie. La langue revêt donc une indéniable influence politique.

 

 

     Comme nous l'avons évoqué, les usages de la langue diffèrent selon les orientations politiques de chacun. Même si l'état a pour tâche d'unir le peuple, il reste cependant impossible d'uniformiser une manière de parler. Le peuple a gagné la liberté mais également le droit à la différence qui peut dans certains cas devenir source de conflit si la notion de vivre ensemble est bafouée. La politique linguistique en Tunisie est axée sur deux orientations : l'arabisation et le maintien du français. Dans la nouvelle constitution, l'article 1 stipule que : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. » L'arabe est donc la langue officielle de l'état. Cet article s'inscrit dans une démarche d'authentification et d'affirmation d'une identité mais ne discrédite pas pour autant les autres langues présentes dans le pays. La Tunisie est aussi un état membre de l'organisation internationale de la francophonie, contrairement à son voisin algérien. Mais dans la bataille démocratique que se livrent les partis politiques, nous pouvons remarquer que le rapport a la langue n'est pas le même. Que ce soit le parti islamiste Ennahdha, le parti Nidaa Tounes qui se revendique d'un certain bourguisbisme, ou encore le front de gauche, les usages et les considérations de la langue diffèrent. A chaque pratique de la langue, ils associent une vision politique de l'Etat. L'arabe littéral que s'approprient les sympathisants islamistes pour s'exprimer publiquement sert une idéologie religieuse ou la langue privilégiée est celle du coran. C'est une affirmation de l'appartenance à la communauté islamique (l’Oumma) et a son héritage. Ennahdha a également d'étroites relations avec la Turquie. Pour célébrer la constitution, le parti islamiste a invité un artiste turc, Mesut Kurtiss. Ce regain des valeurs religieuses a pris de l'ampleur après le renversement du régime de Ben Ali qui a pratiqué la torture et a forcé à l'exil ces dirigeants islamistes.

La libération des anciens opposants a déployé le rayonnement de ces nouvelles idées. Parmi ces anciens opposants, il y a le front de gauche dont le porte-parole est Hamma Hammami. Il adopte dans sa langue une différente manière de parler que celle de la capitale et de la bourgeoisie tunisienne. Son accent vient du nord-ouest tunisien (Siliana), un accent qu'il assume et qu'il n'essaye pas de déguiser. Cet accent porte une représentation péjorative et fait souvent l'objet de moqueries puisqu'il est assimile à une catégorie sociale basse et se distingue de la norme du tunisien standard, celui de la bourgeoisie tunisoise. Le fait d'adopter cet accent prouve son souci pour ceux éloignés de la métropole et qui ne bénéficient pas de la même reconnaissance. Il illustre de même sa proximité avec le peuple. Il est ainsi intéressant de rappeler que les revendications sont parties de ces régions défavorisées. Ce problème est celui du centre et de la périphérie que les différences dans la langue font ressurgir. Cette diversité au sein même de l'arabe dialectal peut provoquer des clivages. Un accent s'accompagne de représentations et de clichés qui peuvent être nuisibles ou alors favorisants pour la personne. La langue produit notamment des injustices et des catégorisations parfois hâtives liées a une nécessité de fabriquer un imaginaire sociale.

 

Quant à l'héritage bourguibiste dont se revendique le parti Nidaa Tounes, il tente de revaloriser le tunisien, l'arabe dialectal « derja », au détriment de l'arabe littéral. Dans tous les discours de Bourguiba, ce dernier prend le choix de s'adresser aux tunisiens en tunisien alors que l'arabe dialectal est souvent propice à un usage populaire plus qu'officiel. La situation diglossique entre l'arabe dialectal et l'arabe littéral est de ce fait brouillée. Le tunisien est la langue de ses discours tout comme le fondateur du parti Nidaa Tounes Beji Caïd Essebsi. Comme le disait Stendhal : « Le premier instrument du génie d'un peuple, c'est sa langue ». Pour marquer l'unicité d'un peuple, la langue en est l'instrument. L'usage du tunisien est la reconnaissance de celle-ci comme une langue a part entière, et la culture tunisienne comme unique. Le tunisien apparaît alors comme une marque d'indépendance et non pas de rejet. De plus c'est une langue comptant plusieurs emprunts qui reflètent sa diversité. « Le dialecte, c’est le produit de notre histoire. Avec ses emprunts au français, maltais, italien, comme Koujina ("cuisine"), dacourdou ("d’accord"), il traduit l’ouverture du pays», relève l'éditeur Moncef Chebbi. Le même Bourguiba qui a été la figure de l'indépendance de la Tunisie face à la France, a été l'un des fondateurs de l'organisation internationale de la francophonie. Pour lui, la langue française et la francophonie concourent à édifier une Tunisie moderne et ouverte. Indépendance n'est pas synonyme d'isolement et Bourguiba n'a cessé de souligner la valeur de la diplomatie et de l'ouverture sur le monde pour un état comme la Tunisie qui n'a pas de grandes richesses naturelles. Il a notamment lance d’importantes réformes visant à moderniser la société traditionnelle tunisienne, avec notamment la laïcisation de l’Etat, la reconnaissance du statut des femmes, l’interdiction de la polygamie, l’autorisation du divorce et de l’avortement. Outre l'aspect politique du choix de discourir en tunisien, il y a l'aspect communicationnel. Bourguiba incarnait une vision paternaliste de l'état. Ce dialecte a une charge émotionnelle forte étant donné que c'est la langue maternelle du peuple. Cet usage du tunisien interpelle l'affectivité des tunisiens. La langue maternelle permet d'acquérir l'ensemble des connaissances, des traditions, des rituels, et des valeurs qui unissent les Tunisiens et les distinguent des autres nations. Le dialecte a été pour Bourguiba l'instrument politique pour affirmer une identité et pour approcher les tunisiens à travers le prisme de l'affect avec une dimension paternaliste. Une célèbre photographie assez symbolique qui illustre cette posture paternaliste le montre en train d'ôter le voile d'une femme.

 

L'arabe dialectal a été aussi le dernier recours du président déchu, Ben Ali. Dans son dernier discours prononce le 13 janvier 2011, il reprend le « je vous ai compris » de De Gaulle et le formule en tunisien : « Ena fhemtkom » pour ponctuer la transition entre des discours officiels creux a une interpellation direct au peuple tunisien pour faire part de sa préoccupation. Cet usage dissimulait une volonté de montrer la rupture avec l'habituelle distance qu'il imposait entre lui et le peuple. Cette langue maternelle est de ce fait utilisée pour toucher les tunisiens.

Le tunisien a toujours été une préoccupation essentielle pour les tunisiens d'autant plus que la révolution a ravive l'intérêt pour cette langue du peuple. Par exemple, l'auteure Hend Ben Ammar a publié en 2014 une nouvelle édition des contes d'Ommi Sissi regroupant des contes écrit en derja (dialecte tunisien). Ceci s'inscrit dans le souhait de faire du tunisien une langue a part entière. Une langue est souvent un dialecte qui a réussi comme l'affirme le professeur Anthony Lodge dans son livre Histoire d'un dialecte devenu langue en se référant au français qui vit le jour dans le but de concurrencer le latin.

Le choix de la langue est ainsi porté par une dimension idéologique. Il traduit de même une vision particulière de la notion d'état et de sa conception. Lorsque, le 07 mars 2012, a la faculté de lettres, des arts et des sciences humaines à Manouba, une jeune étudiante s'est interposée pour que le drapeau tunisien ne soit pas remplacé par un drapeau islamique que voulait brandir un salafiste, se sont confrontées ici deux notions de l'état : un état qui est exclusivement celui des musulmans (qu'on appelle un califat) et un état tunisien dont les citoyens sont tunisiens. Les critères de citoyenneté de ces deux conceptions ne sont pas les mêmes. L'un relève de la croyance, l'autre de la culture et de l'Histoire. Chaque conception est portée par une langue. Dans un état islamique, la langue des croyants est celle du Coran, alors que dans un état de droit la langue relève de la pratique d'un peuple et de son Histoire. La notion même d'état a été mise en danger sous la menace islamiste qui a pour objectif  d'affaiblir l'état en détruisant ses symboles. La culture, les traditions et les coutumes d'un peuple construisent aussi l'identité d'un état. S'attaquer à ces fondements revient à s'attaquer à son Histoire et à remettre en question sa légitimité. Le refus du dialecte tunisien qui incarne l'ouverture et la diversité avec ses emprunts au français, au berbère, au maltais, a l'italien (…) correspond à renier et trahir le pays étant donné que la langue est intrinsèquement liée à une culture. L'apparition de cette vision wahhabite de la religion coïncide avec une période fragile de l'Histoire de la Tunisie, une période où la croissance du chômage et de la pauvreté nourrit un certain désespoir voire une haine contre un état qui cherche à réédifier ses fondements. Cet affaiblissement du sentiment national est le revers de ce vent nouveau de liberté. Et comme l'a dit Montesquieu : « On raille de tout, parce que tout a un revers. »

 

A l'aube de cette démocratie nouvelle, les voix tunisiennes se sont multipliées et diversifiées. La langue a été le vecteur de cette pluralité de revendications mais aussi un instrument politique. Le choix d'une langue n'est jamais neutre. Une langue est synonyme d'une culture et d'une revendication identitaire. En Tunisie, bien que les opinions puissent diverger, le défi de paix a été remporté et les différences qui s'expriment par la langue, ont permis un débat national qui s'est cristallisé dans les médias et dans les sphères politiques. Ce débat a été essentiel pour la restructuration du pays dans cette période transitoire instable et décisive. L'impact qu'ont eu les soulèvements populaires sur la situation linguistique en Tunisie a été celui d'osciller entre une volonté de s'ouvrir au monde, de faire part de cet exploit historique à la communauté internationale en ayant recours à de différentes langues, mais également de s'authentifier et de définir sa nouvelle identité ainsi que ses nouveaux objectifs.

 

 

 

 

 

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