Chemins de sagesse, chemins de joie...

Le spécialiste de la complexité Marc Halévy ouvre des voies de sagesse agissante, d’après 35 propositions philosophiques de Marcel Conche, vers une montée de soi…

 

Alors que nous assistons au commencement de la fin de chimériques aventures comme celle d’une « monnaie commune » greffée à des sociétés ayant des économies différentes ou de délires technolâtres ignorants des lois les plus élémentaires de la thermodynamique, un philosophe, spécialiste de la complexité, convie notre espèce prise dans la mutation numérique de son écosystème à assumer le « tragique jubilatoire » du temps  - et à faire sa « révolution spirituelle », c’est-à-dire à « se consacrer exclusivement à l’essentiel »…

 

L’accomplissement du Réel

 

D’abord, qu’est-ce que la Sagesse ? « La Sagesse est l’art de toujours vivre en Joie. C’est ce « toujours » qui démontre l’atteinte de la sagesse. Tant que la Joie n’est pas perpétuelle, on n’est qu’à demi sage, on n’est que philosophe, c’est-à-dire ami de la Sagesse, amoureux d’elle, mais non pleinement en elle. ».

 « Atteindre l’immortalité », n’est-ce pas « vivre la Vie au-delà de sa propre vie », d’accomplir le Réel en soi plutôt que de « s’accomplir dans le Réel » comme le susurrent les sirènes du « développement personnel » ? Bref, d’accepter le Réel et « le destin qu’il porte », ce Réel qui, bien entendu, ne se réduit pas au « mesurable quantifiable, au comptable » ? Alors, « s’ouvre un large spectre de possibles entre lesquels il faut choisir librement ».

Le premier obstacle à cet art de vivre en sagesse et joie, c’est l’illusion de l’ego : il s’agit bien d’atteindre « l’effacement de soi afin que l’illimité, enfin, pénètre et prenne toute cette place que l’ego occupait comme une forteresse cadenassée »  - vaste programme, compte tenu de ce « besoin de domination qui a forgé l’âme occidentale » : « L’ego veut dominer, assujettir, forcer, séduire, subjuguer, instrumentaliser tout ce qui l’entoure. Il a peur, au fond, aussi cherche-t-il à se rassurer en se faisant croire qu’il est le maître du monde. La majorité des humains en sont les esclaves dociles, laissant leur ego mener leur vie, inquiets qu’ils sont du regard des autres qui, en somme, devient leur seule référence de vie. ».

Donc, la « Sagesse est faite d’indifférence à l’inessentiel », « centrage sur le seul essentiel », « parfaite présence au Réel » - la misère du monde ne viendrait-elle pas de ce refus du Réel ?

Alors que chaque instant qui vient appelle à l’accomplissement, à servir son propre destin, à passer de la virtualité à la réalité d’un accomplissement ?

Accepter le Réel, c’est se relier aussi à la communauté, à la nature et à l’absolu – c’est vivre pleinement ce « secret de la reliance et de la résonance entre les êtres ».

 

L’avenir d’une illusion…

 

Mais ne nous complaisons nous pas dans une chimérique prison d’égoïsme aux murs renforcés d’écrans lisses ? « Parmi tous les animaux, l’homme est sans doute celui qui possède et cultive le moins cette capacité de reliance et de résonance entre son monde à lui et le monde de l’autre (…) L’homme a peur de la Nature et du Réel qu’elle manifeste. Il préfère ses phantasmes imaginaires. L’homme n’est plus en résonance avec le monde de la Terre. La technique nous a fait perdre cette acuité. La technique nous a fait perdre cette poétique de la symbiose, de la vie ensemble, de la syntonie, du « sentir l’autre », de la sensibilité réciproque.».

Comment renouer une « patiente reliance, brin après brin », avec tout ce qui nous entoure ? « N’est homme que celui qui gagne sa dignité d’homme en oeuvrant au service de la Vie et de l’Esprit. ». Mais combien parasitent et pillent la Vie et l’Esprit, au nom du « progrès », de la « réussite », de la « prospérité », du « pouvoir d’achat » ou d’une « croissance » fétichisée ?

C’est la tragédie de l’époque : « Ceux qui parasitent sont en train de tuer ceux qui construisent ». Or, la « Nature n’est pas qu’une ressource que l’on exploite » - elle est « la vie même et la raison d’être de l’homme »… Ce dernier doit être remis à sa place avant qu’il ne soit trop tard : « L’idée cartésienne de la domination sans frein ni remords de la Nature par l’homme fut le moteur de toute la Modernité et aboutit, aujourd’hui, à une Nature qui meurt, saccagée et pillée par des milliards d’humains débridés, barbares et parasites qui détruisent et tuent tout au nom de leurs caprices consommatoires. Nous sommes au bord du gouffre et nous sommes sur le point de faire un pas en avant. Les bombes démographiques, écologiques et technologiques sont enclenchées : le compte à rebours aussi. ».

Alors, se détacher de cet ego hypertrophié « pour que vive enfin la vie en soi », pour réaliser enfin l’homme dans « l’animal humain », en phase avec ce soi qui ne « demande qu’à s’accomplir en plénitude » ? Rappel utile : « La mort n’est que le symétrique de la naissance et ne concerne qu’un ego qui n’existe pas, qui n’est qu’une apparence, une illusion, un masque changeant qui se donne une identité artificielle, qui n’est qu’une vague à la surface de l’océan. ».

Marc Halévy oppose à la « morale sociétale qui n’est qu’une fiction statistique et légaliste » la chaleur et la douceur de vivre des « éthiques communautaires et la vertu des petits nombres » - à chacun de cultiver ses affinités électives et de goûter cette joie active de vivre de ses fruits, de ses potentialités traduites en actes. Dès lors que « chacun accepte et assume le paysage des possibles qui est le sien, alors tous les voyages, toutes les randonnées, tous les pèlerinages s’offrent et s’ouvrent à la liberté » : « Il ne s’agit pas tant d’aller loin que d’aller bien : il y a plus de merveilles à découvrir dans un petit jardin que dans un immense désert. ». Quel meilleur garant de paix qu’une bienveillance universelle ? « Il ne s’agit pas d’aimer l’autre, il suffit de lui vouloir du bien »… Mais qui donc s’oppose au bien commun, qui entrave cette « intention cosmique d’accomplissement » qui semble la chose au monde la moins partagée à l’ère des prédations exacerbées ? « Le bourreau n’existe que parce qu’un prince veut imposer au monde une vision qui lui est incompatible »…

« Il n’y a de richesse que la vie » rappelait déjà John Ruskin (1819-1900) à l’époque victorienne – c’était juste avant ce si peu résistible tournant épistémologique et anthropologique qui allait tant ébranler notre rapport au réel... Livre après livre, Marc Halévy nous fait traverser le miroir des alouettes plumées ou rôties pour nous rappeler, au-delà de la fausse évidence de l’inéluctable, à notre devoir de lucidité et à notre responsabilité envers cette vie que nous sommes, bien avant notre naissance et bien au-delà de notre mort… Un traité d’intelligence de la vie, donc, pour faire l’économie de l’absurde : les jeux ne sont pas encore faits dans ce devenir perpétuel qui nous renouvelle.

 

 

Marc Halévy, Petit traité de la sagesse de vie, Dangles, 2014, 208 pages, 18 €

 

 

 

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